Travailler pour une entreprise pharmaceutique, puis passer à l’autorité de surveillance Swissmedic pour statuer sur l’homologation de médicaments avant de retourner dans la pharma… Ces trajectoires professionnelles sont de plus en plus fréquentes. Une enquête de Public Eye révèle l’ampleur du pantouflage dans le secteur pharmaceutique. L’ONG a identifié 67 cas entre 2020 et 2024 touchant Swissmedic et 33 cas touchant l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Avec à la clé des risques évidents de conflits d’intérêts et de dépendance des autorités à une branche économique puissante.
Le secteur argue que l’expertise très pointue nécessaire dans l’homologation ou la surveillance du marché ne peut être acquise qu’en travaillant dans la pharma. Un argument qui sert de cache-sexe à une réalité crue: ces fréquents allers-retours entre le public et le privé augmentent les risques de mélange des genres, et que des employé·es de Swissmedic ou de l’OFSP soient tenté·es de défendre les intérêts des pharmas plutôt que ceux des citoyen·nes. Leurs décisions peuvent avoir un impact sur les prix des médicaments comme sur la sécurité des remèdes homologués.
Le phénomène représente en outre une menace pour la démocratie, en nourrissant la méfiance d’une partie des citoyen·nes envers l’Etat. Les autorités ne doivent pas prendre ce problème des «transfuges» à la légère. Le sujet est d’autant plus crucial que les citoyen·nes sont étranglés par les coûts de la santé, pendant que les marges des pharmas atteignent des sommets. En 2024, Roche réalisait un bénéfice net de 9 milliards de dollars, Novartis un résultat historique de 12 milliards. On note aussi que quand les risques de corruption concernent la pharma, cela participe d’autant plus à nourrir les théories conspirationnistes de tout genre ou les réflexes du «tous pourris».
Le phénomène n’est pas uniquement dénoncé par les ONG. Le Contrôle fédéral des finances a lui aussi récemment pointé les lacunes dans la lutte anticorruption de la Suisse. Il rejoint ainsi les conclusions du Greco, l’organe anti-corruption du Conseil de l’Europe qui a observé que le cadre actuel est insuffisant pour prévenir les conflits d’intérêt. Il est urgent d’agir. Cela tombe bien, le Conseil fédéral doit justement renouveler sa stratégie contre la corruption pour les années 2025 à 2028. Un premier pas sera de prévoir un délai de carence minimum suffisant appliqué de manière systématique et pas seulement pour les hauts cadres. Dans le domaine de la santé, comme celui de l’armement ou de l’économie, tous touchés, il est temps de montrer que le pantouflage n’a pas sa place et que le Conseil fédéral défend l’intérêt public.