Le 17 mars 2025, Pierre Alessandri, paysan et secrétaire général de Via Campagnola, syndicat agricole affilié à la Confédération paysanne, était assassiné sur sa ferme en Corse du Sud. Dans un premier temps, dépêches et articles de presse ont relaté ce meurtre avec un habituel mépris culturaliste pour les affaires insulaires: un Corse qui meurt par balle serait un fait divers tragique, tout au plus une histoire de Milieu et de nationalisme.
En rupture avec cette analyse, on peut pourtant regarder cet assassinat comme une nouvelle étape glaçante dans l’accélération de la violence politique dans l’agriculture en France ces dernières années. En 2019, l’Etat français crée, en accord avec le puissant syndicat majoritaire FNSEA, une cellule de gendarmerie consacrée aux atteintes contre les exploitations agricoles, notamment de nature «idéologique». L’objectif est alors de contrer les attaques contre l’élevage industriel ou encore les grands projets d’infrastructure. Les années qui suivent contrediront le Ministère de l’intérieur et le FNSEA, montrant que les violences autour de l’activité agricole ont visé surtout celles et ceux qui dénoncent l’agro-industrie et ses conséquences.
Fin 2020, dans les Bouches-du-Rhône, trois journalistes enquêtant sur le travail détaché dans l’agriculture se font foncer dessus, puis agresser par l’un des plus gros producteurs de salades d’Europe, qui sera condamné à 1000 euros d’amende. Entre 2020 et 2023, la journaliste bretonne Morgan Large retrouve son chien empoisonné, puis par deux fois ses roues de voiture desserrées, sortant par chance indemne de ces actes de malveillance survenus après ses prises de position dans des médias nationaux sur l’agro-industrie bretonne. L’antenne régionale de la FNSEA condamne alors ces actes, mais les place au même niveau que les «agressions» et «intrusions» que subiraient les agriculteurs.
Plus tard, dès les mobilisations agricoles de 2023, ce sont entre autres les fonctionnaires de l’Office français de la biodiversité (OFB) qui sont pris pour cible. L’OFB assure une mission de police de l’environnement, et est donc chargé du contrôle des impacts de l’agriculture sur le milieu naturel. Depuis 2023, près de 80 actions ont visé ses services locaux. Parallèlement, l’actuel premier ministre, François Bayrou, qualifie l’action de ce service de l’Etat «d’humiliation» pour les agriculteurs, alors que le patron de la droite française, Laurent Wauquiez, appelle à la dissolution de cette «coalition d’idéologues» qui empêche les agriculteur·rices «de vivre dignement». Le secrétaire général du second syndicat agricole français, la très droitière Coordination rurale, annonce quant à lui qu’une voiture de l’OFB qui entrerait sur une ferme serait «brûlée sur place». Cette épisode contre l’OFB se termine – pour l’instant – en mars dernier lors de l’assemblée générale des Jeunes agriculteurs de la Manche où, en présence d’un préfet et d’un ancien ministre, est diffusée une vidéo «humoristique» mimant l’assassinat d’un agent de l’OFB sur une ferme, sans réaction des personnalités présentes ni de l’Etat.
Dans cette liste non exhaustive d’attaques matérielles, physiques et verbales contre celles et ceux qui dénoncent l’agriculture industrielle, Pierre Alessandri a d’abord trouvé sa distillerie de plantes incendiée, en 2019, quelques temps après avoir conduit la liste de Via Campagnola aux élections des chambres d’agriculture. Il dénonçait alors la gestion mafieuse des subventions européennes à l’agriculture en Corse et la spéculation foncière. Un mandat plus tard, en ce début d’année 2025, 14 chambres [sur les 88 chambres départementales] passent sous le contrôle de la Coordination rurale, et quatre du côté de la Confédération paysanne – dont la Corse, où Via Campagnola est désormais majoritaire. C’est donc le secrétaire général du premier syndicat agricole de cette région qui a été abattu, n’entraînant aucune réaction ni du Ministère de l’intérieur, ni de celui de la justice, ni des autres syndicats agricoles.
En ce jeudi 17 avril est célébrée partout dans le monde la Journée internationale des luttes paysannes, créée en hommage aux 21 paysan·nes sans terre au Brésil, tués en 1996 par la police qui défendait les latifundistes2. Cette année, Pierre Alessandri rejoint, tout près d’ici, en Corse, la longue liste de membres des mouvements paysans, partout dans le monde, assassinés pour avoir combattu l’emprise de l’agro-industrie.