Les auteurs originaires du continent africain font un tabac et remportent des prix littéraires parmi les plus prestigieux. Le prix Goncourt 2024 a ainsi été remis au franco-algérien Kamel Daoud pour Houris, trois ans après La plus secrète mémoire des hommes du Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr. Tandis que le Renaudot 2024 a été attribué au Rwandais Gaël Faye pour Jacaranda, pour ne citer qu’eux. «La langue française enjaillée par les littératures africaines?», c’est en tout cas une question qui sera posée au Salon du livre de Genève lors d’une table-ronde proposée par l’association Défense du français1>Salon du livre de Genève, vendredi 21 mars à 17h, suivi de la remise du Prix Kourouma à 18h dans le cadre de la Semaine de la francophonie et de la langue française. Outre Christine Le Quellec qui enseigne la littérature d’Afrique francophone à l’université de Lausanne, Ibrahima Aya, auteur et éditeur malien, et directeur de la Rentrée littéraire du Mali, sera présent à cette occasion, incarnant la vitalité de la littérature et de l’édition sur le continent africain, où les salons du livre se multiplient, chaque pays mettant un point d’honneur à organiser le sien.
C’est qu’aujourd’hui, deux francophones sur trois vivent sur le continent africain, ce qui permet à la langue française de figurer parmi les cinq langues les plus parlées dans le monde, par plus de 300 millions de personnes. Reste que la plupart de ces pays sont en fait plurilingues, le français étant la langue de communication entre des locuteurs qui ont des premières langues différentes, parfois plusieurs dizaines dans le même pays, comme c’est le cas au Cameroun ou en Côte d’Ivoire. La langue française de par sa coexistence avec de nombreuses langues nationales se voit donc irriguée, enrichie, réinventée par des mots et des expressions qui ont acquis leurs lettres de noblesse en francophonie. Dans plusieurs pays sahéliens en revanche, tels le Mali, le Burkina Faso ou le Niger, la rupture avec l’ex-puissance coloniale rejaillit sur la langue française, reléguée au rang de langue de travail, avec une tendance nette à la valorisation des langues nationales. Le célèbre auteur sénégalais Boubacar Boris Diop, qui écrivait jusqu’alors en français, a même annoncé qu’il «ne rédigerait désormais plus qu’en wolof, principale langue nationale du Sénégal», tout en appelant ses collègues écrivains à en faire autant. Sur fond de tensions politiques, l’Algérie, où l’arabe est la langue officielle, a, en 2022, introduit l’anglais dès l’enseignement primaire, pour contrebalancer le français.
Reste que c’est un écrivain d’origine algérienne, Boualem Sansal, qui, l’année dernière, peu avant d’être arrêté et jeté en prison par les autorités algériennes, publiait le plus vibrant hommage à la langue de Molière paru ces derniers temps. Dans son livre «Le français, parlons-en!» (Editions du Cerf), il se montre certes très critique à l’égard du pouvoir algérien qui «au nom d’une politique de réislamisation expresse» a «banni le français qui assurait le lien avec le monde libre et l’univers de la philosophie». Mais aussi, il alerte les Français et la France sur la dégradation de leur propre langue, dans leur propre pays. «Si demain, vous et vos enfants, vous vous retrouvez à bredouiller du globish à deux pennys étoilés ou du wesh à deux dinars troués, n’allez pas le reprocher à ceux qui n’ont eu de cesse de vous alerter», lance-t-il dans le langage fleuri qu’on lui connaît. Du coup, on se prend à rêver: et si les «trumperies» à répétition donnaient l’envie aux francophones de boycotter le globish triomphant et ce franglais à deux balles qui pollue notre belle langue française? Cela serait une belle manière de répondre positivement aux mises en garde de Boualem Sansal, mais aussi aux initiatives visant à boycotter des produits américains, lancées il y a quelques jours.
Notes