Skip to content

Le Courrier L'essentiel, autrement

Je m'abonne

Le juge n’a pas à se muer en procureur

Chronique des droits humains

Le 6 février, la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a dit à l’unanimité que l’Ukraine avait violé l’article 6§1 de la Convention dans son volet pénal qui garantit à toute personne le droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial pour avoir condamné le requérant après que le tribunal a complété d’office le dossier de l’accusation1> Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 6 février 2025 dans la cause Vadim Gaydashevsdyy c. Ukraine (5e section)..

Le requérant, né en 1990, a été arrêté par la police le 22 janvier 2020 au volant de son véhicule. Un rapport d’infraction administrative a été établi pour conduite sous l’influence de stupéfiants, indiquant que le niveau d’intoxication avait été dressé par un centre de soins psychiatriques local. Le rapport médical indique que le requérant était en état d’intoxication narcotique, comme l’a établi un test rapide pour six types de drogues. Ce rapport était rédigé sur un formulaire standard et la section consacrée aux résultats des tests de laboratoire était barrée. Le 12 février 2020, le tribunal local, en l’absence des parties, a reconnu le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et l’a condamné à une amende d’environ 350 francs et suspendu son permis de conduire pour une durée d’une année.

Le requérant a fait appel de cette condamnation, faisant notamment valoir que les preuves d’intoxication figurant dans le dossier étaient irrecevables, car elles n’avaient pas été établies, selon une lettre du centre médical adressée à son avocat, par des tests en laboratoire sur du matériel biologique, mais seulement sur la base d’un examen superficiel ne précisant même pas quels stupéfiants auraient été découverts. Le juge unique de la Cour d’appel a tenu alors plusieurs audiences en présence du requérant et de son avocat, mais sans autre partie; le juge a notamment requis du centre de soins des explications sur les opérations effectuées. Le centre lui a répondu le 15 juin 2020 que le test rapide aurait constitué un test de laboratoire au sens de la législation et que le requérant avait été testé positif à l’amphétamine et à la marijuana. Le requérant a alors requis la récusation du juge qui a été rejeté. Le 13 août 2020, le juge unique de la Cour d’appel a confirmé le jugement de première instance.

La CrEDH rappelle que la garantie de l’impartialité d’un tribunal doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement de tel juge, c’est-à-dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans tel cas, et aussi selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité. En particulier, l’absence d’une partie poursuivante à une audience peut soulever une question au regard de ces principes, car elle peut susciter des doutes quant à l’impartialité objective du tribunal en amenant celui-ci à se saisir de la cause de l’accusation.

Dans le cas particulier, le juge unique ne s’est pas contenté d’examiner les preuves préparées par l’autorité chargée de l’enquête, mais a au contraire, de sa propre initiative, recherché des éléments de preuve préjudiciables à la position de l’accusé et les a utilisés dans son arrêt pour contredire les arguments soulevés par la défense. En recherchant d’office de telles preuves, puis en condamnant le requérant sur la base des preuves obtenues, la Cour d’appel ukrainienne a donné l’impression d’une confusion entre les rôles de procureur et de juge et a donc donné lieu à des doutes légitimes quant à l’impartialité du tribunal au regard du critère objectif. Il y a eu donc violation des garanties d’un procès équitable.

En Suisse aussi, dans certaines circonstances, le code de procédure pénal confère au tribunal le soin de recueillir, même d’office, de nouvelles preuves ou de compléter des preuves administrées de manière insuffisante2> Articles 343 et 349 du Code de procédure pénal – RS 312.0.. Cette faculté pourrait ainsi se heurter à la garantie d’un juge indépendant et impartial. Un tel cumul des rôles attribués par la loi à la juridiction de jugement a du reste été sanctionné récemment par la Cour dans une affaire suisse, le code de procédure pénal désignant le président du tribunal pour statuer sur des mesures, notamment le maintien en détention, qui, durant l’instruction, sont de la compétence d’un tribunal distinct3> Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 13 juin 2023 dans l’affaire Erwin Sperisen c. Suisse (3e section)..

Notes[+]

Pierre-Yves Bosshard est avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

Chronique liée