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Le Courrier L'essentiel, autrement

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Un processus complexe

Daniel Marguerat répond à un article publié dans Le Mag du 20 décembre 2024.
Traduction

Sous le titre aguicheur «L’invention de Jésus-Christ», Le Courrier du 20 décembre donne la parole à M. Sauge, helléniste distingué. Je me prononce sans avoir lu les ouvrages de M. Sauge, et réagis à la synthèse que l’auteure de l’article, Mme Anne Pitteloud, en propose.

M. Sauge a le mérite de poser la question fondamentale de la construction théologique de la figure de Jésus dans les Evangiles. Je ne suis toutefois pas certain que les thèses avancées soient pertinentes. Ce n’est pas leur originalité qui fait problème, mais leur caractère absolu et péremptoire. Affirmer «avec certitude» que Silas est l’auteur des Actes des apôtres, ou que le même a été l’avocat de Paul à Rome, est hasardeux; aucun texte ne confirme cette idée.

Prétendre que des prêtres ont introduit le baptême et l’eucharistie vers l’an 100 semble ignorer que l’apôtre Paul en parle dans ses épîtres cinquante ans auparavant. Faire de l’évangile de Jean le plus ancien des évangiles fait fi des évidents traits d’ancienneté présents dans les trois autres évangiles. La thèse de fond selon laquelle deux couches de langage dans l’évangile de Luc (la koinè et un «sabir» sémitisant) permettraient de différencier deux auteurs différents, le premier vierge de toute christologie, ne se vérifie pas après examen des textes; c’est ignorer également les procédés d’écriture de Luc, ses variations de style et son respect des sources traditionnelles.

M. Sauge n’est pas le premier à prétendre connaître les «actes et paroles authentiques» de Jésus de Nazareth. Il reconstruit ainsi un Jésus qui lui convient; il devrait savoir que toute parole transmise par la tradition orale est déjà une parole interprétée. Bref, M. Sauge est un bon helléniste, mais, semble-t-il, peu au courant du processus complexe de la composition des évangiles. Il s’autoproclame avec raison «éléphant dans un magasin de porcelaine». Le Courrier n’aurait-il pas dû, s’il voulait correctement informer ses lecteurs, donner la parole à ces exégètes que critique l’helléniste de Genève pour montrer qu’il s’agit là d’un débat ouvert?

Daniel Marguerat,
professeur honoraire de l’université de Lausanne