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CERN – EPR, la convergence des luttes

Dans un article original, l’écrivain genevois Daniel de Roulet relie le projet du nouvel accélérateur géant du CERN, le FCC, au développement de la centrale nucléaire du Bugey, près de la frontière suisse, où l’implantation de deux nouveaux réacteurs de nouvelle génération (EPR) est prévue.
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Depuis que je le connais, mon ami JB est un militant écolo. Il n’a plus de permis de conduire et ne circule qu’à vélo. Mais ce soir-là, pour rejoindre le village de Cercier en Haute-Savoie où il fera une conférence, il m’a demandé de le conduire en voiture. Pas d’autre manière d’arriver là-bas. JB est un physicien critique, un de ceux qui aiment la méthode scientifique, mais pas les projets démesurés de ses collègues. Ce soir il sera question du CERN et du nouvel anneau souterrain qui devrait être creusé à 240 mètres de profondeur moyenne pour une nouvelle machine à explorer les mystères de l’univers. Ça se passera dans la salle polyvalente de la commune, l’une des huit qui seraient directement touchées par l’installation du projet.

Nous quittons Genève au milieu de l’après-midi pour être sur place à 19h30. Avant de passer la douane, coincés pendant une demi-heure dans une file de voitures qui avancent au pas, nous prenons le temps de discuter. Il me rappelle les données du projet que le CERN prépare en catimini depuis 2014. Les habitants des communes qui auraient à en subir l’impact ne sont avertis que maintenant. La circonférence du futur collisionneur circulaire aurait 92 km. Les gravats extraits par l’excavation représenteraient un volume de 9 millions de m3. La consommation électrique des installations serait celle d’une ville de 700’000 habitants.

Je me souviens qu’il y a exactement un demi-siècle, en 1974, Friedrich Dürrenmatt alors âgé de 34 ans avait été invité à visiter le CERN qui prévoyait de construire ce qui est aujourd’hui le LHC, un tunnel de 27 km de circonférence. Dürrenmatt venait de faire jouer dans les théâtres allemands Les Physiciens, une pièce qui présentait Einstein et quelques autres scientifiques enfermés dans une clinique psychiatrique. Son reportage publié à cette occasion raconte à la fois son émerveillement et ses doutes sur l’avenir du CERN dont il critique l’hubris, c’est-à-dire la démesure moralement inacceptable. Je fais part à JB de mes doutes sans lui dire que ce sont ceux que j’avais déjà relevés chez Dürrenmatt. Mais pour JB il ne s’agit en aucun cas de critiquer la recherche scientifique qu’il admire. Pour lui l’urgence climatique nous oblige à redimensionner les prétentions de chaque secteur d’activité. L’état de la planète est tel qu’il n’est plus possible de cautionner des projets qui vont à l’encontre d’un développement durable. Nous en restons là de notre dispute amicale.

Quand nous arrivons sur place à Cercier, nous sommes saisis par la beauté du paysage sous une lumière rasante: succession à perte de vue de collines boisées et de vallons verdoyants, des clairières, des bosquets, un damier de parcelles agricoles entourant quelques villages.

Au début de la soirée, les organisateurs se demandent encore s’il y aura du monde pour écouter JB et les autres intervenants. Mais bientôt il faut rajouter des chaises pour un public attentif. Et voilà qu’on apprend que justement ce matin, la centrale atomique de Bugey a mis en consultation la construction de deux réacteurs de type EPR. Tout le monde comprend que l’un des deux au moins servira à l’alimentation du futur collisionneur, c’est donc que le projet du CERN est directement lié à une grosse quantité d’énergie supplémentaire. Dans l’assemblée, un agriculteur fâché lance l’idée d’une ZAD pour empêcher le forage des «émergences», comme sont appelées les énormes cheminées qui surgiraient de terre et dont l’équipement annexe occuperait cinq hectares sur chaque site.

Pendant que JB explique en une brillante conférence documentée par de belles images explicatives, je retrouve dans les archives de la Toile le texte de Dürrenmatt. En 1974, lors de sa visite au CERN, il écrit de manière prémonitoire: «L’humanité va arriver d’elle-même à des choses qui vont la contraindre à faire marche arrière.» Et plus loin, il constate: «On m’a avoué ou presque avoué qu’on ne savait pas s’il fallait être certain que la construction d’accélérateurs toujours plus puissants, d’anneaux toujours plus gigantesques n’allait pas faire courir à l’homme le risque d’inventer des particules élémentaires au lieu de les trouver.»

Retournant à Genève, au sortir de la séance d’information, JB et moi reprenons notre discussion. Sur un point nous sommes d’accord. Que l’on soit pour ou contre les recherches du CERN, nous sommes l’un et l’autre opposés à la construction d‘un nouvel EPR. En luttant contre l’un de ces projets fous, l’EPR du Bugey, nous lutterons contre l’autre, le collisionneur du CERN. C’est ce qu’on appelle la convergence des luttes.

Article à paraître dans le prochain trimestriel romand Sortir du nucléaire, www.stop-bugey.org

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