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L’éternel retour de l’austérité

Après leur suspension durant les années Covid pour permettre aux Etats membres de réaliser des dépenses extraordinaires, le Parlement et le Conseil européens ont adopté en avril dernier une réforme des règles de la gouvernance économique. Sous des discours creux promettant une «économie verte, numérique, inclusive et robuste» se répand une nouvelle logique économique vicieuse à travers le continent. Explications.
Europe

Partout en Europe, le souvenir des cures d’austérité de la décennie précédente est encore vif. Parce que les finances publiques avaient été mises fortement à contribution pour sauver des banques privées à la suite de la crise financière de 2008, les dépenses des Etats membres avaient été dans un second temps drastiquement réduites.

Quelques années et événements imprévus plus tard, ce cercle vicieux se répète presque à l’identique. En quasi constante augmentation depuis le début du millénaire, les soutiens publics aux entreprises privées (subventions, exonérations fiscales ou de cotisations sociales) visant à encourager la croissance, l’embauche ou encore la transition climatique explosent. La qualité des services publics des Etats membres se détériore pourtant, malgré des dépenses publiques en forte hausse, d’année en année, faute d’investissements suffisants.

Le projet initial de réforme de la gouvernance économique de la Commission européenne laissait timidement espérer qu’il serait potentiellement bientôt possible d’en finir avec les logiques d’austérité infernales du passé. Les pays les plus frugaux (Allemagne, Pays-Bas, Finlande…) sont néanmoins rapidement revenus à la charge et ont réussi à réimposer le principe de soutenabilité budgétaire et à tuer toute perspective d’investissements à la hauteur des défis sociaux et environnementaux de notre temps. Cette situation est d’autant plus préoccupante lorsque l’on sait que la moitié des Etats membres ont de hauts niveaux d’endettement, et qu’ils n’auront même pas la possibilité de négocier avec la Commission des trajectoires prenant un tant soit peu en compte leurs spécificités économiques propres.

Si les règles d’or actuelles (un taux d’endettement maximum de 60% et de déficit budgétaire de 3% tout au plus) de la zone euro ne bougent pas, les nouvelles règles adoptées se révèlent, sous un vernis de flexibilité, être d’une terrible rigueur… Désormais, au-delà d’un taux d’endettement de 90%, un Etat devra réduire sa dette d’un point par année, et pour un taux situé entre 60% et 90%, de 0,5 point. En ce qui concerne les déficits publics, un nouvel objectif maximum de 1,5% par année, devant assurer un «coussin de dépenses», a été introduit. Alors que certains pays n’enfreignaient jusqu’à maintenant pas les règles de la gouvernance économique de l’UE, ils le feront donc désormais.

La Confédération européenne des syndicats a déjà annoncé en début d’année que la mise en œuvre de ces nouvelles règles conduirait à la réalisation à l’échelle européenne de coupes budgétaires supplémentaires de 100 milliards d’euros par année. Chaque Etat doit préparer un plan budgétaire complet pour septembre. Entre-temps, beaucoup de pays ont profité de l’opportunité pour durcir des politiques budgétaires déjà fortement restrictives. Il y a bien sûr les déclarations délirantes de Bruno Le Maire sur le dérapage budgétaire français à 25 milliards d’euros, mais aussi la Finlande et son plan de réaliser 9 milliards de coupes dans les politiques de santé ou climatique, l’Allemagne et son objectif de réduction des dépenses de 17 milliards, ou encore la promesse des Pays-Bas de réaliser 18,2 milliards d’économies d’ici à 2029 dans la sécurité sociale.

Ces mesures semblent d’autant plus paradoxales dans la période actuelle où la politique industrielle est sur toutes les lèvres. Que ce soit en ce qui concerne la défense, la transition climatique ou les technologies à haute valeur ajoutée, l’argent public se réoriente vers des industries-clés souvent en mains privées. Ces dernières sont encore trop nombreuses à bafouer des principes de base des droits sociaux ou syndicaux. La question de conditionner ces soutiens financiers à des salaires minimaux ou au respect strict des règles de santé et de sécurité au travail se pose urgemment.

Dans cette optique, les agences de surveillance étatiques devraient être suffisamment dotées afin de suivre les utilisations de cet argent public. Mais paradoxalement, ces mêmes agences sont souvent les premières victimes des restrictions budgétaires. Les inspectrice·eurs du travail sont considéré·es comme des variables d’ajustement, alors même que leur nombre est directement corrélé à la santé et aux accidents du travail. Sauf revirement inespéré, nous nous dirigeons tout droit vers une Europe encore plus tributaire du bon vouloir du secteur privé qui ne pense plus qu’à sa compétitivité internationale.

Article paru dans Pages de gauche no 192, été 2024, pagesdegauche.ch

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