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Bolloré fait main basse sur l’audiovisuel africain

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Tandis que Vincent Bolloré met l’empire médiatique qu’il a conquis en France au service de l’extrême droite, son groupe poursuit sa mainmise sur l’audiovisuel africain. Déjà largement leader sur le marché d’Afrique francophone, avec, entre autres, 7,5 millions d’abonnés à la chaîne Canal+, le groupe de Vincent Bolloré est actuellement en négociation pour acquérir l’opérateur audiovisuel sud-africain Multichoice, numéro un sur les marchés africains anglophones et lusophones. Si l’opération aboutit, elle offrirait à Vivendi, dont la famille Bolloré est l’actionnaire majoritaire, un quasi monopole sur l’offre de télévision payante en Afrique subsaharienne.

En France, l’image du groupe de Vincent Bolloré est passablement écornée. La fréquence d’une de ses chaînes, C8, multi amendée en raison des outrances de son animateur vedette Cyril Hanouna, n’a d’ailleurs pas été renouvelée par l’Arcom, l’autorité française de régulation de l’audiovisuel. En Afrique francophone en revanche, le nombre d’abonnés à Canal+, filiale de Vivendi, explose, en raison notamment de la faiblesse de l’offre des télévisions nationales. Mais aussi parce que Canal+ investit massivement dans la création d’œuvres originales africaines, des séries, des films, ainsi que des émissions de divertissement. Permettant ainsi à des producteurs, des réalisateurs ainsi qu’à tous les métiers connexes de travailler.

Car les clients africains des chaînes cryptées veulent avoir accès non seulement aux blockbusters du moment et aux retransmissions sportives, mais aussi à des contenus locaux, en phase avec leurs réalités et leur environnement. C’est ainsi qu’en Côte d’Ivoire, les séries réalisées par Alex Ogou, telles que Cacao ou Niabla, cofinancées par Canal+, cartonnent dans toute la sous-région. Et remplacent peu à peu les telenovelas brésiliennes. Face à l’énorme potentiel que représente le continent, le groupe Canal+ investit désormais également dans des chaînes en langues nationales, en bambara, en pulaar, en wolof, en kinyarwanda, qui rencontrent un énorme succès.

Paradoxe: alors qu’en France, les médias contrôlés par Bolloré libèrent une parole raciste et islamophobe décomplexée, le même groupe, toujours empêtré dans des affaires présumées de corruption de présidents africains, mise sur l’Afrique pour générer une part toujours plus importantes de ses revenus. Lorsque le groupe Bolloré avait annoncé céder ses activités logistiques à l’armateur italo-suisse basé à Genève MSC, un de ses responsables avait annoncé que son groupe n’allait pas quitter le continent africain pour autant; et que ses activités dans le secteur de l’audiovisuel seraient maintenues. Sa volonté d’acquérir le géant sud-africain de l’audiovisuel Multichoice, qui compte 21,7 millions d’abonnés sur le continent, démontre parfaitement sa volonté de continuer à occuper le terrain, et de concurrencer ainsi les plus grosses plateformes de streaming mondiales que sont Netflix, Disney+ ou Amazon Prime Video, elles aussi à la conquête du continent africain.

Quelques voix s’élèvent pour craindre un quasi monopole si l’acquisition de Multichoice par le groupe français se concrétise; et une trop grande concentration de la création audiovisuelle entre les mains de quelques-uns. Cela montre en tout cas que dans ce secteur, comme dans d’autres, le continent africain fait l’objet d’âpres luttes entre les grands groupes internationaux qui tous, cherchent à occuper le terrain, alors que les marchés européens et nord-américains sont quasiment saturés.

Catherine Morand est journaliste.

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lundi 8 janvier 2018

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