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Kaies Saied et la pathologie du pouvoir

Après avoir mis ses opposants, des journalistes et des avocats derrière les barreaux, le président Kaies Saied a annoncé ce 19 juillet sa candidature aux élections du 6 octobre. Le journaliste suisse Rayane Ben Amor s’indigne.
Tunisie

Depuis l’accession au pouvoir de Kaies Saied en 2019, sorti tout droit d’une bibliothèque de droit constitutionnel et sans expérience politique, la Tunisie fait face à une atrophie démocratique, doublée d’une crise économique qui va en s’empirant. Un comble pour ce pays où un comité de quatre organisations, impliquées dans la transition démocratique, avait reçu en 2015 le prix Nobel de la paix pour leur rôle de conciliateur entre le parti d’Ennahda et le parti Nida Tounes.

A présent, les démocrates tunisiens n’ont qu’à bien se tenir, car le président actuel s’est octroyé les pleins pouvoirs un 25 juillet 2021 en dissolvant le Parlement et en mettant nombre de voix discordantes derrière les barreaux. Le 25 juillet 2022, il a pris soin de faire modifier la constitution de 2014 pour élargir encore ses prérogatives.

Actuellement, il ne fait plus bon être avocat, chroniqueur ou journaliste en Tunisie surtout si vous ne partagez pas les vues du président. Le 16 mai de cette année, une manifestation d’avocats en tenue de travail a conduit à une véritable rafle pour en emmener plusieurs derrière les barreaux. L’ironie n’est guère appréciée par le chef de l’Etat et l’avocate Sonia Dahmani a fini en détention pour s’être interrogée haut et fort à la télé sur ce qui pouvait bien attirer les migrants subsahariens dans un pays comme la Tunisie! Quant à l’avocate Abir Moussi du parti destourien libre, elle est toujours retenue pour avoir organisé deux rassemblements contre le processus électoral. Plusieurs autres personnalités ont encore été victimes d’intimidations. Le président du pays n’hésite pas à agiter les menaces de complot international et les potentielles ingérences étrangères pour justifier ses actes. Les protestations de la France, de l’UE ou même des Etats-Unis n’y font absolument rien. Il obéit à sa feuille de route qu’il tient secrète comme un magicien garde ses formules.

«Tes souvenirs se voilent, ça fait comme une éclipse, dans le ciel plein d’étoiles»… Qu’elle est loin cette époque du Café des délices, de cette Tunisie chantante et joyeuse à l’odeur de jasmin et de thé à la menthe. Aujourd’hui, les jeunes et moins jeunes regardent avec des yeux humides le continent européen où, sur les réseaux sociaux, tout semble plus facile. Des passants abordés en 2024 dans des micro-trottoirs – disponibles sur Youtube «Réalités tunisiennes» – ne cachent plus leurs projets de mettre les voiles, de «brûler les frontières» comme ils disent en dialecte local. Les rappeurs tunisiens relaient aussi cette thématique dans leurs sons. Sur ARTE, «Tunisie, le grand exode des médecins» raconte comment des professionnels, issus de la bourgeoisie, tentent de s’expatrier.

Après la crise du Covid, en 2022, 18 000 migrants tunisiens étaient arrivés à Lampedusa. Les profils étaient variés: mères célibataires, mineurs isolés en plus de tous les autres. L’éducation, les soins, les services publics ont tellement été détériorés depuis le départ de Ben Ali que la vie sur place est devenue un cauchemar pour beaucoup, confrontés à l’augmentation des prix des denrées principales. En bon constitutionnaliste, le président croit que tout peut se régler à coup de lois. Entre-temps, c’est-à-dire en juillet 2023, un accord a été conclu entre la Tunisie et l’UE pour que la Tunisie endosse le rôle de garde-frontière et empêche les embarcations de rejoindre l’autre rive. Prix du service: 105 millions d’euros.

Une démocratie tunisienne est-elle seulement possible ou tous les dirigeants du continent africain sont-ils pris par la pathologie du pouvoir? Ce 19 juillet, à l’annonce de sa candidature pour un nouveau mandat, alors que tout opposant politique risque la prison, Kaies Saeid a ajouté vouloir poursuivre la bataille de «libération nationale» comme s’il était Habib Bourguiba, mettant en garde contre la «personnification du pouvoir». Avec son coup d’Etat silencieux du 25 juillet 2021, l’installation de la démocratie tunisienne est donc bel et bien reportée aux calendes grecques. Et aucune carte de route économique n’a été présentée pour faire de ce pays un endroit où il fait bon vivre pour chacun.

Rayane Ben Amor est journaliste.

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