Suisse

Bürgenstock: fuite en avant guerrière ou sommet utile?

Pour que ce sommet soit utile, l’Ukraine et les Etats occidentaux devraient s’entendre sur les concessions acceptables à accorder à la Russie pour obtenir un accord de paix. Les «dossiers qui fâchent» ne sont pas abordés. En tout cas publiquement. Notre exergue.
Bürgenstock: fuite en avant guerrière ou sommet utile?
Le sommet du Buergenstock sur l'Ukraine les 15 et 16 juin se prépare à accueillir ses délégations. KEYSTONE
Exergue

C’est acté: en l’absence de la Russie, la conférence au Bürgenstock de ce week-end, qui réunira, à quelques exceptions près, les Etats occidentaux et leurs alliés, ne sera pas un dialogue des belligérants pour la paix. Quant à la Suisse, qui a renoncé à envoyer une invitation à la Russie 1>Ignazio Cassis, le ministre des affaires étrangères suisse a déclaré, sans avoir peur de la contradiction: «Si nous l’avions invité quand même (la Russie), et qu’elle avait accepté de venir, nous aurions pu perdre l’Ukraine en cours de route»., elle s’est rangée dans le camp occidental et s’exclut définitivement de tout rôle de facilitateur dans ce conflit, alors qu’elle reste, – les contradictions ne lui font pas peur – une plaque tournante pour le commerce des matières premières qui profite à la machine de guerre russe et aux oligarques.

> Lire aussi notre article Un sommet suisse pour la paix controversé

En l’absence également de la Chine et du Brésil, des poids lourds possibles dans le futur accord de paix, l’enjeu de ce week-end sera principalement pour les Occidentaux d’accorder leurs violons. Leur but est sans nul doute de renforcer leur position en ralliant un maximum d’Etats aux revendications ukrainiennes.

Si elle en reste là, cette conférence ne contribuera pas à la paix. Il faudrait aussi s’entendre aujourd’hui avec l’Ukraine sur les concessions à faire pour obtenir de la Russie la signature d’un traité durable et acceptable pour les deux parties. Car c’est toujours de cela dont il est question dans un accord de paix quand il n’y a capitulation d’aucun des deux camps. Penser que la Russie capitulera est non seulement irréaliste mais c’est aussi parier que, même acculée, elle s’abstiendra d’utiliser ses armes atomiques. Un pari insensé pour l’avenir de l’humanité.

Or, pour l’heure, les «dossiers qui fâchent», sur lesquels la Russie ne fera pas l’impasse, ne sont même pas mentionnés à la veille de la conférence: principalement – en contrepartie du retrait des troupes russes de l’ensemble du territoire ukrainien – le statut de «neutralité permanente» de l’Ukraine pour, selon Moscou, garantir la sécurité de la Russie face au bloc occidental (ce qui signifie des garanties d’une non adhésion de l’Ukraine à l’OTAN) et l’avenir des provinces du Donbass et de la Crimée (où pourraient être organisés de véritables référendums d’autonomie sous l’égide de l’ONU, susceptible d’envoyer des casques bleus). Espérons que ces thèmes soient discutés en coulisses. Et que le jusqu’au-boutisme va-t-en-guerre des Etats-Unis soit mis en question.

Le sommet du Bürgenstock pourrait justement être une opportunité pour l’Union européenne et la Suisse, qui ont tout à perdre du prolongement de la guerre, d’enfin faire revenir Washington à la raison. Tout indique que depuis le début de la guerre et même avant, les Etats-Unis ont freiné, voire saboté, toute tentative de trouver un accord avec Poutine. Au printemps 2022, un accord semblait à bout touchant, et la proposition de la Chine en 2023 a été torpillée. L’impérialisme russe a bien sûr son équivalent outre-Atlantique.

Il n’est pas complotiste d’affirmer que le gouvernement étasunien pense pouvoir bénéficier de cette guerre qui affaiblit à moindres coûts la Russie – une grande puissance concurrente – , qui fournit des débouchés et des hausses de prix à ses hydrocarbures, et qui offre de juteux marchés à son complexe militaro-industriel. A l’âge de 95 ans, l’analyste étasunien Noam Chomsky2>Le journal brésilien Folha de Sao Paolo informait lundi que Noam Chomsky est hospitalisé au Brésil après une attaque foudroyante en 2023, ce qui expliquerait son silence depuis un an. nous alertait à ce propos l’année passée. Il continue à estimer que la politique de son gouvernement est l’un des principaux dangers à la paix mondiale. Ce qui ne l’empêche évidemment pas – contrairement à certains «campistes» douteux – de condamner l’agression russe qui constitue un crime international injustifiable.

Il est temps que l’Europe sorte du giron étasunien, il en va de la sécurité et de la prospérité du continent, et bien au-delà. Mais l’histoire enseigne que seule une mobilisation populaire très large – tant en Europe, en Russie qu’aux Etats-Unis – permettra de mettre fin à la fuite en avant des conflits interimpérialistes. Elle reste à construire.

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