Édito

Un outil, pas une fin en soi

Un outil, pas une fin en soi
L'AMR, à Genève, organisait le 18 janvier une jam en mixité choisie, ouverte aux femmes et personnes LGBTQIA+. DR
Égalité

C’est une de ces vaines polémiques qu’on préférerait ignorer. Les Jeunes UDC genevois instrumentalisent la culture et l’égalité, cadets de leurs soucis – sauf quand il s’agit de fondre sur les acteurs et actrices de la culture et sur les féministes qui «noyautent nos institutions». Rappel des faits: jeudi 18 janvier, l’AMR organisait une jam en mixité choisie, ouverte aux femmes et personnes LGBTQIA+. «Les hommes (public et/ou musiciens) […] hétérosexuels sont priés de rester dehors pour cette fois.» Pour cette fois. Rassuré·es? Pas la droite dure, qui saisit l’opportunité de taper sur les «woke», son sport préféré (on attend toujours une définition pertinente du néologisme favori des réactionnaires).

A toutes fins utiles, rappelons que la mixité choisie est aussi vieille que les luttes d’émancipation. Et qu’elle constitue un moyen, pas une fin en soi. Elle permet à des catégories de population minorisées et affectées par les inégalités de se retrouver entre elles, dans un cadre sûr, exempt de ces dynamiques de pouvoir. A l’AMR, temple du jazz et de l’impro, les femmes et personnes LGBTQIA+ ont constaté un déficit structurel d’expérience et d’opportunités, qui a très peu à voir avec le talent et beaucoup avec le patriarcat. Improviser, c’est s’exposer au jugement, à l’«expertise» façonnée par des siècles – voire des millénaires – d’histoire de la musique sous hégémonie masculine. Une forme de compétition vécue comme disqualifiante.

On l’a compris, la mixité choisie ne vise pas à exclure, mais au contraire à inclure. A élargir le cercle, en y accueillant tout le monde, y compris celles et ceux qui ne s’y sentaient pas légitimes. Les Jeunes UDC peuvent bien dénoncer «une attaque directe contre une majorité de la société, dénigrant les hommes hétérosexuels», leurs gesticulations ne trompent personne. Car l’AMR s’est dotée en 2019 d’une commission pour l’égalité, les jams en mixité choisie n’étant qu’un outil parmi d’autres. Pour la Ville, qui subventionne l’AMR par une convention quadriennale, la parité est un objectif déclaré – le magistrat Sami Kanaan l’a rappelé dans la Tribune de Genève du 18 janvier. A gauche, où certain·es peuvent parfois se sentir bousculé·es par la remise en cause du statu quo, on n’ignore pas que l’affirmation positive, et active, permet de faire bouger la société là où les progrès tardent à se concrétiser.

Selon une étude commandée par Pro Helvetia, les femmes représentent à peine 12% des interprètes du jazz suisse. Sous-représentées dans les directions artistiques des institutions et des festivals, elles obtiennent moins d’un tiers des prix et bourses attribué·es. On attend les solutions de l’UDC sur ce terrain.

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