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Dick Marty, le courage, la rigueur et la cohérence

L’historien tessinois Andrea Ghiringhelli retrace les valeurs de Dick Marty, ancienne figure de la politique et de la justice suisses et défenseur des droits humains, décédé le 28 décembre.
Hommage

J’ai beaucoup admiré et peu osé dire de Dick Marty, un homme d’une grande culture politique et juridique. Quelques traits marquants ressortent néanmoins, liés à son activité de magistrat et d’homme politique. Comme par exemple la rigueur éthique. Dick Marty nous rappelle que l’éthique (à savoir le lien entre l’attitude individuelle et le bien collectif) doit toujours être au centre de l’action politique. Il citait un curé italien qui disait: «On ne corrige pas l’action politique immorale uniquement avec des discours, il faut que les hommes et femmes politiques, syndicalistes, ministres, maires, artistes donnent l’exemple dans leur propre action.»

J’ai toujours perçu chez Dick Marty une condamnation radicale des politiques qui centrent leur action – et la démarche juridique qui l’accompagne – sur les considérations géopolitiques, les intérêts nationaux et les nationalismes exacerbés qui génèrent le rejet de l’autre, la fermeture et la violence. Dick Marty condamnait fortement les politiques qui «ignorent les gens», n’aspirent pas au respect des droits fondamentaux et, surtout, ne placent pas le bien des toutes et tous au dessus de tout.

Au Tessin comme ailleurs, Dick Marty n’était pas très aimé d’une partie du monde politique, surtout de la frange de celles et ceux qui pratiquent la «politique politicienne», jusqu’au sein de son propre parti (le PLR) où beaucoup l’écoutent et se taisent, voire le critiquent à demi-mot.

Pour lui, la politique n’avait qu’un sens: la poursuite du bien commun et de la justice sociale. Il a constamment dénoncé les abus des multinationales et un certain capitalisme prédateur ainsi que les dérives de la politique migratoire, insensible aux souffrances des autres et peu soucieuse du respect des droits humains. Entre les droits humains et ceux des banques, ce sont les premiers qui doivent prévaloir, disait-il souvent.

Disons-le clairement: Dick Marty était un démocrate libéral, très attaché au concept de liberté. Il citait souvent un philosophe italien, Roberto Bobbio: «Il n’y a pas de liberté sans démocratie, il n’y a pas de démocratie sans liberté.» Le fil rouge de toute son action: une constante recherche de la justice sociale et une critique toujours plus forte des dérives actuelles de la démocratie libérale, accusée de s’éloigner de ses valeurs fondamentales et constitutionnelles. Il n’a pas épargné non plus ses concitoyennes et concitoyens, coupables d’assister parfois sans réagir à cet appauvrissement et à cet éloignement de l’Etat de droit.

En clair, disait-il, «je crois que dénoncer l’injustice, la corruption et la mauvaise gouvernance, ce n’est pas seulement un devoir de chaque citoyenne et citoyen, mais un acte d’attachement à son pays, à sa population, au monde dans lequel nous vivons». Et il ajoutait que «la démocratie est une construction fragile qui doit être alimentée, corrigée, soutenue en continu par une citoyenneté active, seule en mesure d’empêcher ses dérives».

Aujourd’hui, des menaces très concrètes pèsent sur l’ordre démocratique: il y a celles et ceux qui souhaitent des exécutifs toujours plus forts au détriment des parlements ou d’autres lieux de débats publics. Une certaine droite extrême exalte le pouvoir du peuple comme forme de légitimation du pouvoir de la majorité au détriment des minorités. Dick Marty le répétait souvent: «Le peuple n’a pas toujours raison, parfois il se trompe, il y a beaucoup d’exemples.»

Dick Marty nous laisse en héritage à la fois ses réflexions sur le fonctionnement de la démocratie, sur l’éthique, sur l’essence de l’agir en politique, sur ses vertus mais aussi sur ses dérives. Il nous laisse aussi l’image d’un homme courageux, fidèle à lui-même jusqu’au bout. Aujourd’hui nous avons perdu l’homme, efforçons-nous à ne pas perdre ses idées.

Article paru dans le quotidien tessinois La Regione
du 29 décembre 2023, reproduit avec l’aimable autorisation
de l’auteur. Traduction de Florio Togni.

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