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«Les affiches de Marc Rudin ont constitué le récit commun d’un peuple dispersé»

L’artiste et militant suisse Marc Rudin, connu aussi sous le nom de Jihad Mansour, est décédé le 7 avril. Son œuvre graphique a traduit les aspirations du peuple palestinien – il avait rejoint la résistance palestinienne dans les années 1970 – et exprimé les luttes des populations opprimées dans le monde. Françoise Fort lui rend hommage.
«Les affiches de Marc Rudin ont constitué le récit commun d’un peuple dispersé»
Exposition PFC'E2015
Carnet noir

Il est si difficile de trouver les mots pour dire «au revoir» à Marc Rudin, décédé ce vendredi 7 avril, et pour rendre hommage au militant qui avait su donner à son œuvre graphique la puissance symbolique capable de traduire la longue marche des opprimé·es et la violence de l’occupant. Au militant qui avait mis son art, son métier et sa vie au service d’une cause, celle de la résistance palestinienne.

En novembre 2015, Marc avait tenu à être présent à l’occasion de l’exposition de ses affiches réalisées au Liban entre 1977 et 1991, organisée à Genève dans le cadre des rencontres cinématographiques «Palestine: Filmer c’est exister» (PFC’E). Il ne s’était pas longtemps attardé sur les conditions dans lesquelles ces affiches avaient pu voir le jour dans une ville assiégée, mais avait longuement parlé de l’exigence qui l’habitait de «comment dire ce que je veux dire et que tout soit clair, sans que rien du message ne se perde», et du choix des moyens qui devaient rendre le message immédiatement perceptible. Deux couleurs, le vert et le rouge, soutenues parfois par le noir de la calligraphie ou le damier du keffieh. Une première ébauche était lancée sur un format de carte postale, quelquefois inversé, pour exprimer le territoire perdu ou figurer l’espace de la liberté.

Durant plus de dix ans, les affiches de Marc ont constitué le récit commun d’un peuple dispersé et mis un visage sur l’occupant. Sur les murs des immeubles bombardés des villes du Liban, de Syrie et de Palestine, dans les camps de réfugiés, parmi les mouvements de solidarité en Europe et aux Etats-Unis, elles ont déployé la couleur de la résistance. Elles ont porté, au cœur de cette résistance, celles des luttes menées dans d’autres pays, sur d’autres continents, au Salvador, au Nicaragua, en Turquie, et bien d’autres lieux encore. Sur la terre de son exil, au cœur des combats pour la libération nationale, les affiches de Marc rappelaient, chaque Premier Mai, celui mené par les classes opprimées contre un système économique qui les broyait, avec la même économie de moyens, le rouge de la révolution, le bras du travailleur et le poing levé.

Les engagements de Marc Rudin et de tous ceux et celles qui avaient partagé les mêmes luttes et les mêmes espérances sous-tendaient et nourrissaient son œuvre graphique. Son engagement s’était enraciné dans le terreau des luttes ouvrières de Mai 68, à Bienne, aux côtés des grévistes de la fabrique Burger et Jacopi, dans les comités de lutte ouvriers/étudiants et dans ceux des luttes anti-impérialistes. Pourchassé par la police de Berne, Marc avait continué son combat à Paris, auprès des camarades de la Gauche prolétarienne, de 1972 à 1974. C’est au cours de son séjour à Milan où il participait à l’aventure du street art que des étudiants palestiniens l’avaient approché. Et sa vie allait se mettre au service de leur cause et l’inscrire dans nos consciences.

Que notre hommage lui dise l’immense gratitude que nous éprouvons pour l’héritage qu’il nous laisse.

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