Fathia, amie et sœur de combat, pour toujours dans nos cœurs!
Fathia avait quitté son pays, l’Ethiopie, pour fuir un mariage forcé. Elle a vécu quinze ans en Suisse. Elle a d’abord eu un permis N [requérant·es en attente d’une décision]. Ensuite, elle a reçu un refus de Berne concernant sa demande d’asile et elle a passé au «papier blanc», cette attestation qui annonce au requérant ou à la requérant·e un prochain départ, qui interdit à la personne de travailler ou de trouver un logement, et qu’il faut aller faire tamponner chaque semaine à l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) pour pouvoir recevoir l’aide d’urgence, soit 10 francs par jour.
Puis Fathia a participé à une action politique en lien avec son pays, ici en Suisse: elle a occupé le consulat d’Ethiopie avec d’autres militant·es. La police a communiqué au consulat la liste des occupant·es, ce qui a mis de facto leur vie en danger en cas de renvoi en Ethiopie. Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a donc été forcé de lui donner un permis, au vu de l’erreur commise par la police genevoise. En l’occurrence un permis F, c’est-à-dire une admission provisoire qui rend l’accès au travail pratiquement impossible, tout comme le «papier blanc». Cela alors qu’elle était déjà depuis huit ans en Suisse et qu’elle remplissait largement les conditions pour obtenir un permis B réfugié·e.
Toujours positive, déterminée à sortir de la dépendance de l’Hospice général, Fathia a fait des centaines de démarches pour obtenir un emploi, avec des lettres de motivation envoyées à des hôtels, des EMS, des entreprises de nettoyage; elle est entrée dans de nombreux lieux pour offrir ses services en français, en arabe, en anglais. Elle a suivi de nombreux stages, qui se terminaient toujours par des évaluations excellentes. Fathia aurait tellement voulu pouvoir travailler dans une crèche, un hôpital ou un EMS. Mais avec le permis F et l’impact de la loi sur la laïcité votée en 2019, les portes d’institutions publiques et subventionnées se sont définitivement fermées. Car Fathia portait un voile, élégant et toujours très coloré. Elle n’a jamais obtenu de réponse favorable à ses demandes d’emploi.
Fathia était très croyante et très attachée aux traditions de son pays. Mais elle était également ouverte aux autres, une ouverture exceptionnelle qui l’a amenée à tisser des liens forts avec des personnes de différents continents, cultures, parcours. C’est ainsi qu’elle a noué des liens là où elle a prié, là où elle retrouvait ses compatriotes, là où elle a habité, là où elle a bataillé avec ceux et celles qui défendent leurs droits humains. Fathia a été de toutes les luttes pour l’asile depuis 2014: pour dénoncer l’incendie des Tattes, pour crier «Stop bunkers», pour accompagner ceux et celles menacé·es de renvoi, que ce soit à l’OCPM, sous les murs des prisons de la Favra ou de Frambois. Sur nos photos, on la voit tenir des pancartes au premier rang, infatigable, inébranlable, jamais résignée. «C’est quoi ça! C’est pas normal!» Fathia avait une indignation viscérale face aux injustices subies par les requérant·es d’asile à l’Hospice général, à l’OCPM, au SEM. «Ce n’est pas parce qu’on est une femme africaine avec un permis F que quiconque a le droit de nous traiter mal ou de manière méprisante.»
Cette saine indignation nous a guidé·es et renforcé·es tout au long de nos années de lutte commune. Mais ces derniers mois, Fathia semblait fatiguée, à bout. Elle en avait marre de cette vie sans avenir, sans perspective de travail. Ensuite elle est tombée gravement malade, physiquement, pas psychiquement. Et puis, le 9 mars 2023, Fathia a quitté définitivement la Suisse et le monde. Sa révolte et son sourire nous manquent déjà. Fathia, on ne t’oubliera jamais!