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Christian Grobet, trois générations militantes

Nils de Dardel et Christian Dandrès rendent hommage au politicien et à l’avocat Christian Grobet, décédé le week-end dernier, en saluant la portée de l’action dans la défense des locataires –jusqu’au niveau fédéral – de celui qui fut l’un des architectes de l’Asloca Genève.
Hommage

Christian Grobet n’est plus. Il s’est éteint ce week-end. Les locataires et l’Asloca ont perdu un combattant exceptionnel. Nous lui devons parmi les plus importants instruments de protection contre la spéculation immobilière.

Le parcours politique de Christian Grobet couvre trois générations militantes, de la fondation de l’Asloca Genève dans sa forme actuelle à ses dernières batailles pour faire appliquer l’interdiction des ventes d’immeubles à la découpe.

C’est à lui que nous devons le Tribunal des baux et loyers gratuit – une rareté en Suisse, alors que dans de nombreux cantons les locataires renoncent à défendre leurs droits du fait de frais de justice, et de dépens à l’avocat des propriétaires en cas d’insuccès, même partiel, exorbitants.

Christian Grobet est à l’origine de la structure actuelle de l’Asloca Genève qui a été conçue pour assurer le plus efficacement possible la défense individuelle, collective et politique des locataires. En sus de ses membres individuels (plus de 30’000 aujourd’hui), l’Asloca regroupe une quarantaine d’associations d’immeubles ou de quartiers. Cette particularité lui permet d’organiser de manière collective des locataires pour améliorer ou préserver les conditions de vie du plus grand nombre.

A cheval entre une permanence juridique et un syndicat, l’Asloca dispose grâce à Christian Grobet d’une capacité réelle de s’opposer avec succès aux attaques des milieux immobiliers et de leurs représentants politiques. Elle est aussi à l’origine de la plupart des grandes lois de protection des locataires qui sont issues d’initiatives populaires.

Des initiatives, Christian Grobet en a rédigé des dizaines et permis ainsi de barrer la route à la spéculation.

La plus connue, sans doute son plus haut fait d’armes, fut l’acceptation de l’initiative populaire cantonale complétant la LDTR (Loi sur les démolitions et rénovations) qui a mis un terme aux ventes à la découpe des immeubles en 1985. Grâce à cette loi des milliers de locataires ont pu conserver leur logement.

Christian Grobet savait que les milieux immobiliers n’allaient pas admettre leur défaite et qu’il faudrait encore batailler pour faire appliquer cette loi. Il a ainsi prévu que l’Asloca pourrait contester les décisions prises en violation à cette loi. Cette clairvoyance n’a jamais été démentie.

Grâce à sa pugnacité, l’Asloca a aussi obtenu qu’un référendum facilité contre toute les lois concernant les locataires et l’habitat, protection essentielle face aux tentatives sans cesse renouvelées des spéculateurs pour les démanteler. Il a fallu consacrer des efforts importants pour que cessent les ventes à la découpe des immeubles. Christian Grobet a consacré beaucoup de temps durant ses dernières années de vie professionnelle à traquer les astuces de certains propriétaires pour contourner la loi. Au moment où un magistrat issu des milieux immobiliers avait décidé de ne plus appliquer la loi, cette action de l’ombre fut décisive.

Nous devons également à Christian Grobet d’avoir pu conserver et développer plus de logements dans le secteur Praille-Acacias-Vernets (PAV). Alors que le Conseil d’Etat voulait y réaliser une sorte de City à la mode genevoise, Christian Grobet a lancé un référendum contre un préavis municipal. Il a ainsi ouvert un espace de négociation qui a permis d’imposer que ce secteur dont l’Etat est propriétaire serve à la construction de logements locatifs. Ce sont ces principes que les milieux immobiliers et leurs représentants politiques remettent en cause avec leurs lois 12290 et 12291 contre lesquelles l’Asloca a lancé le référendum et qui viendront en votation populaire le 3 mars 2024.

Christian Grobet n’a pas limité son action politique et sociale à Genève et à la Suisse. Comme politicien et comme avocat, il s’est engagé en faveur des droits humains et de la démocratie. Tout jeune, il luttait contre la dictature militaire et pour la libération des prisonniers politiques en Grèce. Récemment encore, il soutenait les révolutions du Printemps arabe et, concrètement, participait au blocage et au rapatriement des fonds du dictateur tunisien Ben Ali.

Christian Grobet a été pour nous un modèle d’énergie et d’intelligence dans la défense judiciaire et dans l’action politique. Nous saluons, avec une infinie reconnaissance, les forces et les enseignements qu’il nous a apportés.

Nils de Dardel est avocat, ancien conseiller national PS/GE et ancien secrétaire général de l’Asloca romande.
Christian Dandrès est avocat, conseiller national PS/GE et juriste à l’Asloca.

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