Chroniques

Le féminisme comme une évidence…

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Le 9 octobre dernier Simone Chapuis-Bischof nous quittait à l’âge de 92 ans. Cette nouvelle a été occultée par l’actualité dramatique au Moyen-Orient et par un mois d’octobre trop doux, qui nous a laissé penser que l’été durerait toujours, comme on pensait qu’elle serait toujours là, à nos côtés, dans les mobilisations féministes. Bien sûr, on savait qu’elle était affaiblie, qu’elle s’était un peu retirée, même si elle est encore apparue dans quelques événements, notamment lorsque ses archives personnelles ont été déposées aux Archives cantonales vaudoises, léguant ainsi des trésors aux futur·es historien·nes de la lutte pour le suffrage féminin vaudois, mais également des combats féministes suisses et internationaux. Quel choc immense de se réveiller en sachant qu’elle n’était plus.

Simone Chapuis-Bischof a incarné plus que quiconque le féminisme vaudois, la lutte pour le suffrage, bien sûr, mais pas uniquement. Elle a incarné un engagement féministe absolu, continu, sans relâche, un féminisme sans cesse réinventé, renouvelé, nourri des rencontres les plus diverses et enrichi de causes nouvelles. Un engagement absolu, c’est un engagement qui ne s’éteint pas lorsque la cause est gagnée. Elle aurait pu s’arrêter au lendemain de l’obtention du suffrage féminin le 7 février 1971, il n’en a rien été. Elle a poursuivi et a su faire siennes les causes des générations suivantes, peut-être pas directement celles du MLF, mais plus tard celles des militantes des années 2000 autour de la Marche mondiale des femmes, de la revendication pour un congé et une assurance maternité dignes de ce nom, entre autres…

Avant d’être connue pour son combat pour le suffrage féminin, Simone Chapuis-Bischof a tout d’abord milité contre les inégalités salariales dans le cadre du Syndicat des services publics; c’était en 1959, les Vaudoises venaient d’obtenir le droit de vote. Son engagement s’est alors poursuivi pour l’obtention du droit de vote au niveau fédéral, mais également, pour former – une trace de la fibre pédagogique de l’enseignante qu’elle était – les politiciennes fraîchement élues et encore inexpérimentées. Elle n’a eu de cesse de revendiquer une juste représentation des femmes dans les instances politiques. A chaque élection, de façon d’abord assez artisanale, puis de plus en plus professionnelle, elle faisait des statistiques, traquant les avancées et les reculs des femmes parlementaires. Dans ce combat, elle faisait preuve d’obstination, refusant les clivages politiques. Elle voulait que l’on vote «femmes», même si nombre d’entre nous n’étions pas prêtes à élire des femmes aux programmes réactionnaires, leur préférant certains hommes plus prompts à soutenir les combats féministes.

Simone est partie juste avant les élections fédérales, elle n’a donc pas assisté au recul de la participation des femmes aux chambres. En effet, il a suffi d’une crise pour que l’avancée de 2019 soit remise en cause. Ainsi, elle n’aura pas vu que, pour la première fois depuis 1971, la proportion féminine a fortement chuté au Conseil national, renvoyant aux oubliettes non seulement la lente progression à l’œuvre au fil des ans, mais surtout l’envol spectaculaire lors du précédent scrutin, attribué à la vague violette qui avait déferlé en Suisse en juin 2019. Alors que les femmes représentaient 40,3% des candidatures, elles avaient alors obtenu 42,8% des mandats, un succès notoire! En 2023, au Conseil national, elles ne sont plus que 38,5%. Au Conseil des Etats, c’est mieux: 16 femmes y ont été élues, contre 13 en 2019; la proportion passe ainsi de 28% en 2019 à 34,78% en 2023. On est pourtant encore bien loin de la parité.

Les mobilisations féministes n’ont pas disparu. Mais face aux incertitudes économiques et sociales, d’autres enjeux ont pris le pas, non seulement sur l’égalité entre femmes et hommes, mais également sur la défense du climat… Dans un contexte instable, il semble qu’opter pour des candidats mariés et pères de famille, qui plus est bien installés dans la seconde partie de carrière ou relançant leur carrière politique, est plus rassurant que de laisser aux manettes les élu·es plus récemment arrivé·es en politique. En outre, le succès des partis de droite, présentant moins de femmes sur leurs listes, n’est pas étranger à ce recul.

Simone, tu t’en es allée juste avant cet amer constat, mais de ton engagement total, nous retenons deux choses: premièrement, que les avancées ne sont jamais certaines et qu’il ne faut pas baisser la garde; et deuxièmement, que malgré les désaccords, les autres perspectives, il faut se battre aux côtés des nouvelles générations de féministes, aux combats, aux analyses, aux méthodes parfois différentes des nôtres. C’est cela qu’on gardera de toi, ainsi que ton incroyable énergie.

Au moment de prendre congé, la tristesse s’engouffre dans le drapeau violet, mais nous savons que tu rejoins d’autres Simone, Beauvoir, Veil, qui ont elles aussi marqué nos vies, nos esprits, ont inspiré nos combats, nos choix…

Les autrices de cette chronique sont investigatrices en études genre.

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