Chroniques

Mettons le pays à l’arrêt!

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

En ce 14 juin, nous ne présenterons pas une nouvelle fois la liste des discriminations auxquelles les femmes* sont confrontées. Les raisons de faire grève ne manquent pas, quoiqu’en pensent les sceptiques. Non, l’égalité n’est pas acquise.

A titre d’exemple, on ne compte plus les féminicides commis, notamment en Suisse, depuis le début de l’année. Pire, dans certains domaines, les inégalités s’accroissent et le backlash est à la hauteur des dernières mobilisations. Récemment, on a vu à nouveau se pavaner sur les tapis rouges ceux qui avaient été dénoncés dans le sillage de #Metoo ou encore parader des ex-accusés à la sortie du tribunal, après un procès dont l’issue ignoble ne fait que conforter les agresseurs dans l’idée qu’une accusation de viol n’est pas prise en considération, la victime subissant une nouvelle violence dès lors que l’impunité est au rendez-vous. Dans le même ordre d’idées, on peut évoquer l’opposition du législateur au renversement de la preuve dans le domaine du harcèlement sexuel, contraignant les victimes à devoir apporter la preuve de cette discrimination.

Faut-il également dénoncer l’attentisme de mise en œuvre de l’égalité salariale? Le droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale ne sera et ne pourra pas être réalisé sans contrôle institutionnel, sans sanction, quoi qu’en disent les expert·es appelé·es à la barre par les associations patronales. Enfin, faut-il encore et toujours rappeler la révision de l’AVS et le projet de réforme de la LPP?

De manière insidieuse, on lit, on entend, on voit des décisions qui nous font craindre pour les générations suivantes. Prenons l’avortement. Sa dépénalisation n’ayant pas passé la rampe du national, certains groupes attendent au coin de la rue le moment qui leur permettra de renforcer le «droit à la vie» au détriment du droit à décider si oui et quand on veut un enfant. Les attaques violentes qui ont cours de l’autre côté de l’Atlantique parviendront tôt ou tard, chez nous.

Passons à l’assurance-maternité, si longuement attendue, si longuement freinée à travers les arguments des coûts pour les employeurs, si tardivement adoptée et déjà attaquée. Rappelez-vous 2004, la population accepte enfin un projet d’assurance-maternité, issu d’un compromis qui ne correspondait qu’en partie aux aspirations de nombreuses femmes. Moins de vingt ans plus tard, une brèche vient d’être ouverte avec la décision de permettre aux conseillères nationales de siéger pendant le congé maternité. Les autorités fédérales autorisent ainsi les élues devenues mères à siéger pendant les 14 semaines suivant la naissance.

Pourra-t-on refuser cette possibilité aux mères dans d’autres univers professionnels? Mais n’y a-t-il pas un risque, aussi, de voir cette possibilité offerte de façon insistante à celles qui ne le souhaitent pas? Pourquoi autoriser cet aménagement? Pourquoi refuser d’examiner la possibilité de proposer un·e remplaçant·e? Non, on a préféré assouplir le congé maternité!

D’aucun·es n’attendaient que cela. C’est faire fi des aspects physiologiques, la période de «relèvement des couches», comme on disait autrefois. Là encore, c’est répondre aux aspirations d’une minorité de femmes et aux logiques d’un monde du travail encore construit sur un modèle dominant décliné au masculin. Et briser un droit acquis de haute lutte! C’est sans parler des propositions pour l’introduction d’un congé parental, aspiration légitime, qui comportent elles aussi un risque élevé de saper le congé maternité. L’exemple du projet soumis au vote dans le canton de Genève est particulièrement révélateur. Issu d’une initiative constitutionnelle des Verts’libéraux, il propose 24 semaines de congé à répartir au sein du couple. Dans les faits, le projet ajoute 8 semaines aux 16 semaines de congé maternité actuelles, mais prévoit la possibilité de réduire ce congé de 2 semaines. L’adoption d’un congé parental risque bien d’attaquer le droit actuel des mères à un congé maternité décent.

Ne nous laissons pas berner par les alouettes de la proportion de femmes dans les législatifs municipaux, cantonaux ou fédéral. Ces femmes élues à la suite de la mobilisation du 14 juin 2019 n’œuvrent pas toujours pour une société plus égalitaire. Certaines ne sont pas acquises aux droits des femmes, même si elles sont arrivées à leur position grâce aux luttes de plusieurs générations de féministes. Elles partagent les points de vue et les positions de leurs collègues masculins, défendent les privilèges d’une partie de la population et se revendiquent, pour certaines, du féminisme, tout en se désolidarisent publiquement des combats actuels.

La mobilisation du 14 juin 2023 est nécessaire, elle est même plus nécessaire que jamais. Saluons ici l’énergie, l’inventivité des collectifs et des individu·es. En quelques mois, les programmes ont fleuri dans les villes romandes, sur les lieux de travail, dans les lieux de formation, les maisons de quartier. Les drapeaux violets ornent des milliers de balcons et de fenêtres. Les appels à se réunir, à échanger, et à défiler sont continus depuis plusieurs jours. Malgré l’hostilité qui ne s’est pas fait démentir ces dernières semaines.

L’air est malheureusement connu depuis 2019 et n’a qu’un objectif: dé-légitimer cette mobilisation, la dé-crédibiliser. Dans ce contexte, les propos de Simone de Beauvoir nous reviennent en tête: les droits des femmes «ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.» Aujourd’hui, nous sommes des milliers à suivre ce conseil et à s’engager pour mettre le pays à l’arrêt!

Miso et Maso, investigatrices en études genre.

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