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Et si?

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Et si pour une fois, on regardait le verre à moitié plein? Si on essayait de comprendre les débats de ces derniers mois avec une pointe d’optimisme? Bref, si derrière le phénomène Barbie ou encore celui des politiciennes de droite autour de la grève féministe du 14 juin 2023, l’amorce d’une victoire pouvait se cacher… Oui, cette posture optimiste paraît étrange, en particulier dans un contexte où les attaques sont virulentes, les signes de backlash chaque jour renouvelés. Mais pour tenir sur la durée, pour mobiliser nos énergies, il est parfois nécessaire de faire un pas de côté, de ne pas uniquement documenter et analyser les attaques, les revers…

Prenons le phénomène Barbie, un film controversé, qui fait débat et qui, quelle que soit l’analyse qu’on en fait, demeure profondément ambigu. Il n’est pas question de l’examiner ici, tiraillées que nous serions entre critique d’une récupération capitaliste et d’un genderwashing et étonnement face à un blockbuster qui souligne les inégalités toujours à l’œuvre. Que ce soit dans les positions occupées par les femmes dans l’univers du travail rémunéré (économie, politique, justice, sciences, etc.), les violences sournoises dont elles sont victimes (la peur inexpliquée de se déplacer dans l’espace public, le harcèlement de rue, les agressions sexuelles) ou encore les injonctions innombrables et contradictoires qui ponctuent leur existence (être mince, mais pas trop, désirable, mais pas vulgaire). Une superproduction qui illustre même un phénomène plus rarement exploré au cinéma, le male gaze [images imposées au public présentant une perspective masculine, dans le cadre de la culture visuelle dominante], mais de façon inversée, Ken n’ayant ici d’existence qu’au travers du regard porté sur lui par Barbie.

Ce qui est particulièrement intéressant c’est le large débat qui l’entoure, le succès public, notamment auprès de jeunes femmes, et ce, pas uniquement parce que la poupée de leur enfance et le monde rêvé qui l’accompagne sont mis en scène, mais parce qu’elles y voient un film féministe, un film qui les interpelle et fait écho à leurs aspirations, leurs hésitations et leurs craintes, avec toutes les contradictions du monde contemporain des adolescentes: féministes, revendiquant leur égale place dans la société, tout en s’inquiétant de leur apparence et de leur image sur les réseaux sociaux.

Cela nous met face à quelque chose qui a changé. On pourrait parler d’un féminisme décomplexé – une partie des femmes, jeunes et moins jeunes, ne se sentant plus mal à l’aise face à cette «étiquette» et n’hésitant pas à l’arborer et à se battre pour leurs droits. Il s’agit d’un changement de paradigme majeur. Rappelons-nous, pour les plus âgées d’entre nous, de cette difficulté à s’assumer ou simplement à se dire féministes: combien de nos amies, de nos sœurs, de nos mères souhaitaient revendiquer la réalisation dans les faits de l’égalité tout en précisant qu’elles n’étaient pas féministes?

Autre signe de ce changement de fond, les débats en amont de la grève féministe, où des politiciennes de droite se sont offusquées de cette évidente corrélation entre féminisme et luttes de gauche ou syndicales, se revendiquant féministes elles aussi, tout en précisant qu’elles ne descendraient pas dans les rues. Et il ne s’agit pas seulement de récupération politique. Depuis les luttes pour le suffrage, le féminisme bourgeois existe; il ne met pas l’accent sur les mêmes revendications, même si parfois il partage certaines luttes (le droit à l’avortement dans les années 2000, par exemple). Sauf qu’avant la mobilisation #Metoo, avant les grèves féministes, les femmes de droite ne revendiquaient pas l’étiquette. Elles étaient au mieux «favorables à l’égalité», notamment en promouvant les carrières féminines et les postes de cadres. En 2023, elles veulent se faire appeler féministes, car elles ont compris que l’arrière-plan avait bougé.

Nous ne sommes pas naïves au point de penser que le monde a changé et que nous sommes désormais dans une ère féministe, même si certains soutiens au patriarcat et tenants du backlash tentent de le faire croire en soulignant que l’égalité serait réalisée et en réussissant à convaincre d’autres hommes et femmes de cette «victoire». Non, nous n’y sommes pas, les efforts à faire sont encore nombreux. Mais un petit pas a été franchi, une dédiabolisation du mot «féminisme» et, avec elle, une dédiabolisation des luttes portées par ces mouvements. Et si, malgré toutes les attaques, nous considérions que ce changement, aussi minime soit-il, aussi peu perceptible soit-il, était une victoire?

Miso et Maso, investigatrices en études genre.

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