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L’accès aux soins, un principe dissonant

Droits des personnes travailleuses du sexe

La santé est l’une des préoccupations principales des travailleuses du sexe (TDS), selon Aspasie, association genevoise qui défend leurs intérêts1>Aspasie, Rapport d’activité 2022, p. 26.. L’accès aux soins est souvent limité pour ces personnes. En 2022, 48% des TDS ayant consulté l’infirmière d’Aspasie ne disposaient pas d’assurance-maladie. Une enquête conduite en 2010 à Lausanne dressait un constat similaire: 56% des TDS interrogées n’étaient pas affiliées à l’assurance obligatoire des soins (AOS)2>E. Gloor et al., «Travailleuses du sexe : un accès aux soins limité?», Rev. Med. Suisse, N. 301, 2011, pp. 1429-1433.. Les raisons invoquées sont multifactorielles, avec en premier lieu le coût financier de l’assurance-maladie, puis l’absence de permis de séjour et la brève durée sur le territoire helvétique, et enfin le manque d’informations sur l’AOS3>E. Gloor et al., ibid., p. 1432, tableau 5; Aspasie, ibid..

En Suisse, les personnes migrantes et plus particulièrement sans-papiers sont surreprésentées dans le domaine du travail du sexe4>K.E.A. Darling et al., «Suboptimal access to primary healthcare among street-based sex workers in southwest Switzerland», Postgraduate Medical Journal, Vol. 89, N. 1053, 2013, pp. 371-375.. Les enjeux d’accès aux services de santé pour les TDS doivent nécessairement être appréhendés par ce prisme. Comme le souligne la recherche scientifique, il existe «une nette corrélation entre le fait de ne pas être assurée et de ne pas avoir de permis de séjour»5>E. Gloor et al., ibid., p. 1431.. Pourtant, toute personne ayant son domicile civil6>Art. 23-26 CC. en Suisse est tenue de s’affilier à l’AOS et, indépendamment des conditions légales de leur séjour, les ressortissant·es d’Etats tiers (a fortiori, les TDS sans-papiers)7>Art. 3 al. 1 LAMal; art. 1 al. 1 OAMal. en ont la possibilité. Il en va de l’égalité des chances en matière d’accès aux soins qui ressort de la Constitution de l’OMS: «La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelle que soit […] sa condition économique ou sociale.» La Confédération et les cantons se sont engagés à respecter ce principe8>Art. 41 al. 1 let. b Cst., qui donne le droit à toute personne de bénéficier des soins nécessaires à sa santé9>Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat Heim (09.3484, 28.05.2009), p. 13..

Force est toutefois de constater que les TDS sans-papiers préfèrent éviter le contact avec les structures de soins ordinaires, dont les pratiques pourraient en partie expliquer la méfiance qu’elles suscitent. Effectivement, il est avéré que lorsque des personnes sans-papiers bénéficient de prestations de soins, leur identité est parfois communiquée à l’autorité chargée des questions migratoires par les prestataires de soins ou par les assureurs10>V. Bilger et al., Healthcare for undocumented migrants in Switzerland, OFS, 2011, p. 50.. Une personne sans statut légal découverte par les autorités est dès lors susceptible d’être expulsée du territoire suisse. Il convient cependant de rappeler que les compagnies d’assurance n’ont pas le droit de communiquer le statut de séjour de leurs assuré·es à l’autorité chargée des questions migratoires11>Art. 84 ss LAMal.. Il en va de même pour les prestataires de soins. Afin de protéger la sphère privée des individus, le droit suisse prévoit à ce titre des sanctions pénales en cas de violation du secret professionnel12>Art. 321 CP..

Cette pratique illégale contribue à la précarité sanitaire des TDS sans-papiers. Elle s’ajoute à d’autres obstacles à l’égalité en matière d’accès aux soins. Piti Pietru, TDS à Genève, explique d’ailleurs que «le corps médical n’a plus ou moins aucune connaissance des particularités de notre métier. Ils ont aussi les mêmes visions biaisées de nous: sur notre hygiène de vie, sur nos comportements à risque…»13>Aspasie/Piti Pietru, «Les jeudis du boulevard», épisode 4, 2022..

Notes[+]

*Dimitrios KILIARIDIS, Caroline ZANETTE, alumnae de la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables.

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