Édito

Effondrement moral face à Gaza

Effondrement moral face à Gaza
Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis assure ne pas appeler à un cessez-le-feu, car «Israël a le droit de se défendre». KEYSTONE
Gaza

A l’heure où un·e enfant meurt toutes les quinze ou trente minutes à Gaza sous les bombardements indiscriminés, notre ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, assure ne pas appeler à un cessez-le-feu, car «Israël a le droit de se défendre». Puis il explique: «Avec la densité de population à Gaza, il est difficile de concilier le droit humanitaire et le droit d’Israël à se défendre. Et il est aussi très difficile de dire qui sont les civils et qui sont les militaires», déclarait-il mercredi.

En priorisant sans équivoque le second droit sur le premier, M. Cassis justifie non seulement les crimes de guerre en cours, mais remet en cause les fondements mêmes du droit humanitaire. Pour la Suisse, pays dépositaire des Conventions de Genève, ces propos d’un ex-président de la Confédération sont d’une extrême gravité et méritent une réponse ferme de la classe politique.

A l’Assemblée générale de l’ONU, la Suisse avait enfin voté la veille une résolution demandant «un cessez-le-feu humanitaire» après le massacre de plus de 9000 personnes à Gaza en représailles aux attaques criminelles du Hamas. Ce qui avait indigné une bonne partie des conseillers nationaux de la Commission des affaires étrangères, qui estimaient que réclamer un cessez-le-feu revenait, selon le même mantra, à priver Israël du droit de se défendre. Ignazio Cassis a donc tenté mercredi de les tranquilliser, expliquant entre les lignes qu’un cessez-le-feu humanitaire n’équivalait pas à un cessez- le-feu…

Ils doivent être rassurés. Maintenant que l’armée israélienne est entrée à Gaza en déclarant que quiconque se trouve encore dans le nord de l’enclave – soit plusieurs centaines de milliers de personnes – constitue potentiellement une «cible militaire», Israël peut continuer à se «protéger» en commettant des crimes de guerre, voire un crime contre l’humanité et un génocide.

Peu importe si les Gazaoui·es n’ont nulle part où aller, sont potentiellement bombardé·es du nord au sud, et déplacé·es de force sans espoir de retour. L’Etat hébreu a l’aval des autorités suisses, et, plus largement, européennes.

La déclaration de M. Cassis sur l’inapplicabilité du droit humanitaire en Palestine est cohérente avec sa décision de suspendre le financement des ONG palestiniennes et israéliennes de droits humains. Des organisations respectables – ayant échappé à une précédente purge en 2021 sous la pression d’Israël qui potentiellement documentent les crimes de guerre.

Les prises de positions révoltantes d’une bonne partie de nos élu·es, ou leur silence complice, remettent en cause des décennies de travail de la Suisse en matière de diplomatie de la paix et entachent sa si chère neutralité.

Au-delà, c’est à un effondrement moral de l’Occident auquel on assiste et à l’écroulement de la façade droit-de-l’hommiste de nos Etats. Cela apparaît de plus en plus clairement aux yeux de nos opinions publiques confrontées à l’horreur. Le réveil sera brutal.

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