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Les pitoyables soubresauts de la Françafrique

En coulisse

Françafrique: ce concept, popularisé par le regretté François-Xavier Verschave, définit la continuité de la colonisation française en Afrique de l’Ouest sous d’autres formes. «A partir du tournant des années soixante, un système a été mis en place pour continuer à opprimer les pays africains qui venaient d’accéder à leur indépendance vis-à-vis de la France. Or, le système de la colonisation était quand même bel et bien le système d’appropriation des richesses de l’Afrique par des étrangers. Et on a toujours continué, en s’alliant avec un certain nombre de responsables africains: ce sont les amis de la France…» (F.-X. Verschave, La Françafrique, Stock, 1998.).

Les rares présidents africains à s’être élevés contre la Françafrique l’ont payé de leur vie (Thomas Sankara, Sylvanus Olympio), sans parler des oppositions laminées, des militant·es muselé·es et assassiné·es au cours des décennies de pseudo indépendance.

Pourtant, récemment, une série de coups d’Etat militaires dans différents pays d’Afrique de l’Ouest ont mené au pouvoir des dirigeants dont le point commun (à l’exception du suspect nouveau chef du régime gabonais) est la volonté de renvoyer enfin l’Etat français dans ses plates-bandes.

Dans la foulée de l’échec des opérations Serval et Barkhane, c’est au Mali que s’est produite la première rupture, suivie par les coups d’Etat au Burkina Faso et au Niger. Alors que, durant les décennies précédentes, les coups d’Etat relevaient principalement de conflits entre clans antagonistes, sans conséquences sur la mainmise de l’Etat français (excepté bien sûr le coup d’Etat révolutionnaire de 1983 en Haute-Volta, devenue Burkina Faso), il semble, cette fois-ci, que les putschistes aient pour volonté de restaurer la dignité de leur peuple, et de se détacher définitivement de la tutelle coloniale française (et plus avant de toute ingérence ou domination de tout ordre).

Si la méfiance doit toujours être de mise lorsque des militaires prennent le pouvoir, il serait faux de calquer une grille de lecture simpliste sur ces phénomènes et d’opposer, dans ce cadre-là, la pseudo légitimité démocratique des régimes renversés à une apparente illégitimité inhérente à ce type de coups de force. Car lesdits régimes démocratiques en question n’ont constitué qu’une autre facette de la complicité de certaines élites africaines avec le colon français. Ce dernier s’accommode d’ailleurs toujours très bien de régimes dictatoriaux amis (Congo-Brazzaville, Togo) ou de gouvernements aux conceptions démocratiques très relatives (Côte d’Ivoire, Sénégal).

Force est de constater qu’à ce stade, les nouveaux gouvernants du Mali, Burkina et Niger bénéficient du soutien massif de leur peuple. Le tournant est de taille. La France ne s’y est pas trompée, tentant dans un premier temps d’instrumentaliser ses affiliés au sein de la Cédéao [Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest] pour les pousser à attaquer militairement le Niger, opération qui a heureusement (pour l’instant) capoté.

Pas en reste, on apprenait qu’une tentative de coup d’Etat avait été déjouée au Burkina Faso, il y a deux semaines, visant à éliminer le très populaire président Ibrahim Traoré. D’après certaines sources, les armes seraient venues de Côte d’Ivoire, pays dirigé par l’homme clé du dispositif françafricain, Alassane Ouattara (instigateur de la guerre civile de Côte d’Ivoire en 2002).

Sans la moindre décence, l’Etat français a annoncé des sanctions contre tous les ressortissant·es des pays cherchant à sortir de son orbite, notamment via l’annulation des visas. Parmi les personnes impactées, les artistes malien·nes, burkinabè, nigérien·nes, qui, du jour au lendemain, voient leurs projets de tournées ou de participation à des spectacles sur territoire français (outre-mer compris) purement et simplement annulés. On imagine l’impact sur les productions et le manque à gagner pour des artistes aux revenus déjà aléatoires.

Osant tout, notre homme Macron annonce dans le même temps la volonté de créer l’an prochain une «Maison des mondes africains» au cœur de Paris, un gigantesque centre culturel pour resserrer les liens entre la France et l’Afrique! Sans peur du ridicule, le président français inaugurait aussi, ce week-end, au Centre Pompidou, le «Forum des industries culturelles et créatives: Creation Africa». L’occasion pour Macron de déclarer sur sa page Facebook: «Avec vous, artistes, entrepreneurs, forces vives africaines et françaises! Ce Forum est le plus beau démenti au récit que certains voudraient imposer des relations entre l’Afrique et la France. En novembre 2017, dans mon discours de Ouagadougou, j’ai voulu réinventer un partenariat entre le continent africain et la France, équilibré, responsable, respectueux. J’ai pris des engagements concrets. Des pierres sur lesquelles nous continuons à bâtir notre partenariat, où tous les pays africains ont un rôle à jouer. Nous cassons des barrières.»

La Françafrique agonise, mais la mascarade continue, toujours aussi grossière.

Dominique Ziegler est auteur-metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

A l’affiche: Choc! La friandise des dieux, Théâtre Orchestre Bienne Soleure (et tournée) jusqu’au 7 déc. 2023, www.tobs.ch/fr/theatre/productions/stueck/prod/781

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lundi 8 janvier 2018

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