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Putréfaction Foot

En coulisse

Ouf, c’est fini! Un court répit de quatre ans avant que la folie Football ne s’empare à nouveau de la planète avec une hégémonie qui n’épargne aucune zone géographique. Impossible donc, que l’on soit en vacances dans un camping de Trifouillis-les-Oies, au milieu du Sahara, sur une île asiatique ou dans un igloo du Groenland, d’échapper à la déferlante médiatique. Le monde peut brûler, les attentats se poursuivre, les migrants se noyer avec la même régularité, peu importe, le focus est mis sur le grand rassemblement sportif.

S’il ne s’agissait que des médias… Partout, on est confronté à des rassemblements instantanés ou organisés d’individus braillards, pour qui l’existence et le respect d’autrui, notamment de ceux qui ne s’intéressent pas du tout à ce type d’événements, n’existe tout simplement plus. Même les villageois les plus doux et pacifistes se transforment, pendant le temps de la grande messe cathodique, en créatures médiocres, agressives et primaires. Une zombification expresse quadriennale qui n’épargne personne.

On ne fera pas aux lectrices et lecteurs l’affront de leur décrire les objectifs de manipulation basique mis en place par le système pour abrutir les masses avec une efficacité et des moyens défiant toute concurrence. On s’interrogera en revanche sur le fait suivant: le mensonge footballistique est souvent défendu par des personnes dont la vie et l’œuvre reposent sur une pensée anticapitaliste assumée et étayée. Ainsi, des intellectuels ou journalistes de renom ont-ils souvent déclaré leur amour au football dans des pages enflammées, comme Jean-Claude Michéa qui lui a consacré un livre entier, Le plus beau but était une passe, ou encore le pourtant génial Eduardo Galeano, qui parle d’une «grande fête païenne»; tandis que Denis Robert, le tombeur de Clearstream, journaliste courageux, fait preuve d’une étrange bienveillance dans son ouvrage Le Milieu de terrain, ode au football et à ses adeptes.

A ce stade, le lecteur m’objectera que ces derniers font l’apologie du jeu et non pas de sa récupération. C’est là où le bât blesse: le football, comme tout sport compétitif organisé, contient génétiquement les germes de sa récupération. Le légitimer, ainsi que le font les intellectuels sus-cités, et s’extasier devant la beauté du «jeu du peuple» (qui serait, au pire, récupéré par les viles puissances de l’argent, selon certains laudateurs dialectiques), c’est méconnaître la bêtise footballistique de base, les réactions tout à fait primitives et nauséabondes qu’il génère chez les joueurs et les supporteurs, même dans le plus petit club de village ou de quartier.

Car ce sont bien la concurrence et l’écrasement de l’autre qui sont à l’œuvre sous couvert «d’esprit d’équipe», «de jeu collectif» et de «rencontres amicales». Développé à l’échelle universelle, perfectionné, technicisé, capitalisé, le football voit ses tares multipliées par milliards, engendrant violences racistes, sexistes et, surtout – but premier de toute l’opération, au-delà même du profit –, de décérébration massive.

Nombre de politiciens de gauche en Suisse, respectables par leurs nombreux combats, se sont répandus aux mois de juin et juillet en encouragements béats pour l’équipe nationale via leur compte Twitter ou Facebook. Démagogie primaire ou signe que le mal n’épargne personne? En France, le Parti communiste ou la France Insoumise chantent haut et fort les louanges de leur équipe et s’agitent autour du grand raout mondialisé.
De nombreux témoignages de femmes, pourtant, font état d’agressions sexuelles les soirs de retransmission de matchs, en particulier en France, le soir de la finale et de la victoire des Bleus. L’expression de la virilité décomplexée sur le terrain est un blanc-seing pour toutes les dérives sexistes et un formidable déversoir à frustration masculine dans la rue.

Mais il ne faudrait pas gâcher la fête! Les bien-pensants nous gaveront donc de discours sur la formidable intégration des joueurs d’origine africaine ou albanaise dans les équipes occidentales, tout en oubliant bien d’omettre qu’on ne retrouve aucun citoyen issu de ces nationalités à des postes politiques ou économiques importants dans nos pays. L’Empire a ses gladiateurs qui servent d’écrans de fumée à des masses sidérées, déjà soumises au rouleau compresseur de la propagande quotidienne le reste de l’année et totalement anéanties par le coup de massue quadriennal.

La responsabilité des politiciens de gauche est donc grave. Pour ne pas rompre le consensus servile, par peur de se couper du «peuple» et de potentiels électeurs, ceux qui devraient se porter garants de la bonne santé du corps social, être porteurs d’éthique, s’agenouillent devant la sainte trinité capitalisme/racisme/sexisme avec une bonhomie inversement proportionnelle à la putridité qu’elle diffuse. On rappellera à ces démocrates perdus que l’utilisation du sport et l’apologie du dépassement de soi (et surtout de l’autre) a été historiquement le levier primordial de canalisation des foules par tous les régimes totalitaires.

 

*Auteur, metteur en scène, www.dominiqueziegler.com.

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lundi 8 janvier 2018

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