Chroniques

Les transfuges de la réaction

En coulisse

Depuis l’antiquité (Ephialtès) en passant par la Bible (Judas) ou Shakespeare (Iago), la figure du traître s’est toujours avérée une des plus fascinantes et répulsives de l’histoire, comme de la fiction. En politique, elle est aussi objet de sidération pour toute personne un tant soit peu habitée par des convictions de base constantes. Il est évident que tout être humain évolue au fil des ans et des connaissances acquises, mais les retournements de veste ou les plongeons assumés dans les fanges marécageuses brunes d’anciens punks ou anarchistes autoproclamés obéissent à une catégorie définitivement «rubiconesque».

Ainsi, en France, la mutation de Michel Onfray, se disant anarchiste athée en des temps pas si lointains, en chantre du nationalisme rance et laudateur des catholiques identitaires a pu surprendre ses anciens aficionados progressistes. Pourtant, du temps même de son pseudo-progressisme, on percevait au sein de son gloubi-boulga philosophico-politique tant de confusion qu’on pouvait se douter qu’il y avait anguille sous roche.

Notre «philosophe» publie depuis quelques temps une revue, Front populaire, dont le titre est un honteux plagiat du nom de la formation politique dirigée par Léon Blum entre 1936 et 1938, qui défendait les idéaux inverses. Cette revue, qui a pour objectif la défense de la «civilisation judéo-chrétienne», reçoit les contributions de tout l’arrière-ban de l’extrême droite européenne, des membres du Rassemblement national en passant par les disciples de Renaud Camus (théoricien du «grand remplacement») ou d’Alain de Benoist. Un numéro de cette feuille de chou offrait 45 pages de dialogues totalement délirants avec le très surcoté Michel Houellebecq. Florilège: «Onfray: Vous y croyez, vous, au grand remplacement? Houellebecq: D’abord, j’ai été très choqué qu’on appelle ça une théorie. Ce n’est pas une théorie, c’est un fait.» Houellebecq toujours: «Quand des territoires entiers seront sous contrôle islamique, je pense que des actes de résistance auront lieu. Il y aura des attentats et des fusillades dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par les musulmans, bref des Bataclan à l’envers.»

Les propos de Houellebecq (qu’Onfray corrobore) scandalisent aujourd’hui le landernau gauchiste, mais ne sont pas une surprise pour qui avait déjà pu déceler, au détour d’une petite phrase, les fondamentaux idéologiques des faux nihilistes cathodiques. Ainsi il y a plusieurs années, Houellebecq affirmait déjà que «la religion la plus con c’est quand même l’islam» et émaillait ses romans de déclarations islamophobes et anti-palestiniennes. A l’époque, les plus tolérant·es des lecteurs et lectrices pouvaient éventuellement imaginer que la posture du trublion en mode réac relevait d’une forme de happening «anti-politically correct de gauche», qui peut avoir sa dose de provocation rigolote pour autant que le second degré soit assez clairement établi. Hélas, la suite ne fit que confirmer l’ADN idéologique saumâtre de l’«auteur dépressif» exilé fiscal en Irlande, ami d’Iggy Pop (Iggy, wake up!).

Plus triste, surtout pour les rockers quinquagénaires, la mutation de l’ancien chanteur du groupe punk français Asphalt Jungle et journaliste à Rock & Folk, Patrick Eudeline, en défenseur de l’Occident blanc et héraut de l’islamophobie patentée. En parallèle à Rock & Folk, notre ex-punk contribue à une sordide revue d’extrême droite largement diffusée, en compagnie des plus virulentes figures de la fachosphère.

Tels des chevaux de Troie, nos nouveaux ténors artistiques de la xénophobie, de par leur statut d’artiste ou de philosophe, issus du punk ou de la «gauche», rendent plus acceptables des discours qui font passer ceux de Zemmour pour d’aimables ritournelles. Le cordon sanitaire s’effrite et le bon vieux problème de la «liberté d’expression» refait surface, au détriment de la sécurité physique des victimes du racisme.

Les exemples de traîtrise ne s’arrêtent pas à ces exemples brûlants. Lors de la guerre d’Irak, on était surpris d’apprendre qu’autour de George Bush Jr. figuraient parmi les plus furieux des néoconservateurs d’anciens trotskistes. Le fameux entrisme trotskiste avait du plomb dans l’aile! Sans aucune mesure avec les exemples précédents, mais à un niveau symbolique fort, la mutation de Daniel Cohn-Bendit, l’incarnation de Mai 68, en supplétif assidu d’Emmanuel Macron, allant mouiller sa chemise dans les médias pour conspuer les gilets jaunes et le désordre des manifestations, désespère.

Si ces trajectoires personnelles peuvent revêtir un intérêt théâtral pour l’étude de personnages ambivalents, elles sont particulièrement dommageables sur le plan des luttes. Le confusionnisme est devenu une arme aussi redoutable que la propagande frontale pour instiller les poisons de l’oppression à des sociétés déjà bien malades.

Dominique Ziegler est auteur et metteur en scène.

www.dominiqueziegler.com
Prochain spectacle: Morrison’s Blues, Théâtricul, Chêne-Bourg (GE), du 28 fév. au 16 mars,
reservations@theatricul.net

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lundi 8 janvier 2018

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