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Le silence de la rue, le brouhaha des joutes électorales

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«Elections, piège à…». A quoi au juste? Voilà une histoire qui remonte à mai 1968: Paris est en effervescence. Les étudiant·es sont dans la rue, les syndicats déclenchent une grève générale. Le général de Gaulle, dépassé par les événements, file en douce vers l’Allemagne en quête de bons conseils, voire des renforts armés. Il en revient avec une superbe idée: organiser des élections législatives, meilleure manière, paraît-il, de mater la «chienlit», comme il dit. Et ça marche! On vote massivement pour le pouvoir en place. La subversion estudiantine et ouvrière est ravalée. Jean-Paul Sartre s’indigne. Dans sa revue Les Temps modernes, en 1973, il lâche le mot: «Elections, piège à cons!». Quelques années plus tard, l’humoriste Coluche en remet une couche: «Si voter pouvait changer quelque chose, il y a longtemps que ce serait interdit!».

Bon, restons zen! Ces temps, la rue est calme. La perspective des élections fédérales du 22 octobre semble avoir émoussé les ardeurs des activistes du climat. Est-ce parce les militant·es ont été essoré·es par la répression? Est-ce plutôt parce que la politique institutionnelle impose son monopole sur la légalité, au détriment de la légitimité revendiquée par les militants? Je veux croire que non. D’une manière ou d’une autre, ici et ailleurs, le mouvement climatique, international, globalisé, engendrera d’autres collectifs tels que celui «des Orchidées», des «Grondements des terres», d’«Extinction Rébellion» ou même des «Aînées» ou de «Dernière génération» (c’est plus parlant que les slogans des partis!). Ils devront toutefois veiller eux aussi à ne pas transformer leur activisme en «piège à cons» par des actions ébouriffantes, mais qui mettent la population vent debout! Pour cela, il faut développer une stratégie inclusive.

Des militant·es ont déjà franchi ce pas: candidat·es aux élections d’octobre, ils et elles vont peut-être faire leur entrée au Conseil national. D’autres les ont précédé·es au niveau cantonal ou communal. Tancé·es par la justice pour avoir choisi la désobéissance plutôt que la voie démocratique, ils et elles ont beau jeu de rétorquer qu’ils ont déjà arpenté, en vain, toutes les artères du pouvoir. Conscient·es de l’urgence et excédé·es par l’inertie du politique, des scientifiques sortent de leur laboratoire pour aller réveiller les notables, au cœur de l’institution si nécessaire. Elue au Grand Conseil vaudois après l’évacuation et les procès de la ZAD de la colline du Mormont, dans le canton de Vaud, une jeune zadiste explique qu’elle a fait campagne «car j’ai vu là un moyen de porter sur le plan politique les idées des mouvements climatiques et zadistes» (…) «Pouvoir être à la fois dans le rue, dans une ZAD et au parlement permet de mieux informer les militants sur ce qui s’y passe vraiment.»1>Interview réalisée par Infoprisons (https://infoprisons.ch/)

Le Mormont, ravagé par le cimentier Holcim, est un exemple concret d’une interaction possible entre la rue et le parlement. Décrétée zone à défendre fin octobre 2020, elle fut occupée durant six mois par un collectif remarquablement entreprenant et passionné qui a incontestablement réussi à ébranler la conscience populaire et celle des pouvoirs publics avec la problématique de la sauvegarde d’un site de grand intérêt écologique (et du climat), face aux intérêts économiques de l’industrie du béton. Il s’ensuivit le lancement, puis le dépôt d’une initiative populaire cantonale, puis le début des travaux de mise en œuvre par le gouvernement vaudois. Il serait regrettable qu’un collectif qui s’est follement investi tout un hiver pour cette cause ne s’investisse pas aussi dans l’élaboration d’un projet de loi, ne serait-ce que pour le rendre le moins décevant possible. «Totalement insuffisant!», hurlent les plus extrémistes, juste sous les fenêtres du parlement. Et si c’était parce qu’ils ne sont pas dedans que rien n’avance? Oui, je sais: je rêve…

Dans un pays où la participation électorale stagne en dessous de 50%, les abstentionnistes constituent, selon la formule consacrée, le plus grand parti de Suisse. Et parmi eux, hélas, beaucoup de jeunes. Les raisons sont diverses, parfois empreintes d’idéologie libertaire: s’abstenir pour ne pas se faire piéger par le système et passer pour un con! (qu’on me pardonne une fois pour toutes cette grossièreté, empruntée à plus renommé que moi). Je peux comprendre ce sentiment, mais je peux aussi témoigner: la politique institutionnelle et le travail parlementaire représentent un engagement qui mêle la passion, la joie, la frustration, l’épuisement et les larmes. Pour s’y lancer, il ne faut pas avoir peur de l’échec, du temps long et des perpétuels recommencements. Mais le réconfort qu’on en attend, on le trouve précisément dans le lien qui se construit entre l’institutionnel et les collectifs militants.

Tout ça pour lancer l’appel le plus déterminant de cette campagne électorale: VOTEZ !

Notes[+]

Anne-Catherine Menétrey-Savary est une ancienne conseillère nationale. Publication récente: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

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lundi 8 janvier 2018

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