Édito

Le fond de l’indignité

Le fond de l’indignité
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Migration

Insoutenable. A la mi-juillet, le corps noyé d’une petite fille de huit mois a été retrouvé sur une plage près de Barcelone. Elle avait quitté l’Algérie en mars avec ses parents sur une frêle embarcation, comme ces dizaines de milliers de personnes qui risquent leur vie en mer pour un avenir meilleur. On ne connaît pas son nom. Pas de photo non plus pour ébranler les consciences, comme cela avait été le cas d’Aylan Kurdi, enfant syrien de 3 ans découvert sans vie sur une plage de Turquie en 2015.

Huit ans ont passé et rien n’a changé. Chaque année, le décompte macabre est égrené, impersonnel, ordinaire, monstrueux: depuis janvier, plus de 1800 personnes, dont 289 enfants, sont décédées en tentant de rejoindre le Vieux continent. Au total, ce sont 27 674 personnes qui sont mortes ou disparues en mer depuis 2014. Une hécatombe.

Et la situation s’aggrave. Non seulement les autorités nord-africaines, turques et européennes ne font toujours rien pour sauver les naufragé·es, mais elles mettent des bâtons dans les gouvernails des navires de secours des ONG – voire se rendent coupables de non assistance à personne en danger.
L’actualité de ces dernières semaines donne le tournis: à la mi-juin, en Grèce, le naufrage d’un bateau de pêche transportant 750 exilé·es fait des centaines de noyé·es. Les autorités grecques sont gravement mises en cause par des ONG et des rescapé·es, autant pour avoir trop tergiversé et tardé à porter secours à l’embarcation, que pour l’avoir potentiellement fait chavirer.

Le 7 juillet, le navire de sauvetage de SOS Méditerranée, l’Ocean Viking, essuie des tirs des gardes-côtes libyens, puis est immobilisé sans raison valable par les autorités italiennes pendant dix jours alors que des vies sont en péril en mer. Les nouvelles législations italiennes adoptées sous le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni imposent toutes sortes de contraintes qui ralentissent dangereusement les secours.

Au même moment, loin de chercher une solution d’accueil à la question des réfugié·es, l’Europe fait tout pour les empêcher d’arriver sur son sol. Le 16 juillet, l’Union européenne adopte un «partenariat» avec la Tunisie pour stopper tout départ depuis ses côtes. A la même période, ce pays refoule des centaines d’exilé·es subsaharien·nes dans le désert, sans eau ni assistance, en s’attirant les foudres des Nations unies. Le 18 juillet, l’ONU tance aussi la Grande-Bretagne pour avoir adopté une loi refusant aux migrant·es arrivé·es dans l’île la possibilité de demander l’asile. Enfin, le 23 juillet à Rome, gouvernants européens et chefs d’Etat autoritaires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord discutent des moyens de repousser les exilé·es manu militari en prenant exemple sur l’accord avec la Tunisie.

Alors que l’Europe a réussi à accueillir dans l’urgence plus de quatre millions d’Ukrainien·nes, il est devenu évident aux yeux du plus grand nombre qu’elle est aussi capable, comme l’oblige d’ailleurs le droit international, d’examiner les demandes d’établissements de quelques dizaines de milliers de personnes venant du Sud. Quand ses autorités auront-elles touché le fond de leur indignité?

Opinions Édito Christophe Koessler Migration

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