Suisse

Un Sri Lankais renvoyé malgré le risque de torture

Un requérant d’asile est en attente de renvoi de Suisse, malgré les risques de torture dans son pays.
Un Sri Lankais renvoyé malgré le risque de torture
En dépit de séquelles physiques, Thasindu risque de devoir rentrer au Sri Lanka ces prochains jours. ÉRIC ROSET
Asile

«Je suis complètement seul», la photo de Thasindu sur son profil Whatsapp témoigne de l’état d’abandon dans lequel ce requérant d’asile se sent. Victime de tortures répétées en 2015 avant sa fuite du pays, le ressortissant dont l’expertise psychologique atteste «de cauchemars fréquents» a reconstruit sa vie en Suisse dans la mesure du possible. Souffrant de dépression, il réside depuis son arrivée en 2016 au foyer des Tattes de Vernier dans le canton de Genève. Un endroit régulièrement critiqué par les associations de défense des requérants d’asile en raison de son caractère vétuste et de son insalubrité, suite à un incendie survenu en 2015, pour lequel trois personnes ont été reconnues coupable de négligence vendredi dernier.

Travaillant dans un restaurant depuis 2019, Thasindu a retrouvé une forme de stabilité suite à son suivi psychologique auprès des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Pourtant, sa demande d’asile ayant été refusée définitivement le 27 juin 2022 par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), il pourrait être renvoyé à tout moment au Sri Lanka. Ce, malgré la situation catastrophique du pays qui fait face à la plus grande crise économique depuis son indépendance, avec de fréquentes pénuries de carburant et d’électricité un peu partout sur l’île.

Mort assurée

Selon le SEM, 431 ressortissants sri lankais ont déposé une demande d’asile entre janvier et novembre 2022. Sur ce nombre, seuls 125 ont obtenu gain de cause alors que 52 personnes ont été renvoyées de force dans leur pays. Une perspective qui effraie Thasindu.

«Si on me renvoie au pays, c’est la mort assurée pour moi», raconte ce quarantenaire. En dépit de séquelles physiques visibles à l’œil nu et attestées dans l’un de ses rapports médicaux, le SEM s’est montré inflexible. La production de rapports de suivis médicaux attestant d’«idées de mort passives» n’a rien changé. Une situation qui choque Sarah Vincent, juriste au sein de l’association Elisa Asile. «Les risques pour notre mandant sont réels et le SEM reste inflexible, malgré les deux suicides de requérants survenus à la fin de l’année». Le cas d’Alireza, jeune réfugié afghan, qui a mis fin à ses jours en décembre dernier, avait suscité un réel émoi à Genève, avec la tenue d’une manifestation de soutien ainsi que des demandes d’explication de la part du Conseil d’Etat genevois.

Pénurie de personnel

Avouant manquer «de personnel spécialisé dans le soutien psychologique» suite à l’affaire Alireza, le SEM nous a pourtant répondu qu’en vertu d’une jurisprudence du Tribunal administratif fédéral (TAF): «La mention d’un risque suicidaire ne contraint pas les autorités à revoir leur position quant à la décision d’asile et de renvoi». Et qu’il «appartient au pays de renvoi d’offrir la possibilité de consulter un médecin et de poursuivre les éventuels traitements nécessaires». Une réponse que déplore Alan Keenan, expert du Sri Lanka et consultant pour The International Crisis Group. «Il n’y a jamais eu au Sri Lanka de structure de prise en charge adéquate pour des personnes souffrant de problèmes psychologiques suite à des tortures alors avec la crise actuelle c’est encore plus illusoire d’imaginer que ce sera le cas.»

Avant d’ajouter qu’il partageait l’inquiétude de la victime concernant son accueil sur place. «Lorsqu’un Tamoul soupçonné d’avoir des liens avec les Tigres tamouls rentre d’un pays européen, il est considéré comme un risque sécuritaire. Ce qui implique très souvent des tortures et des investigations approfondies sur son rôle éventuel durant les affrontements.»

«Il n’y a pas au Sri Lanka de structure adéquate pour les personnes souffrant de troubles psychologiques» Alan Keenan

La juriste Sarah Vincent s’inquiète également de la facilité avec laquelle son mandant est repérable. «Nous avons trouvé des photos sur internet où on peut le voir en treillis militaire avec des membres des Tigres tamouls. Si nous y accédons depuis la Suisse, vous imaginez bien que les services sri lankais n’auront aucun problème à le reconnaître eux aussi», s’exclame la juriste. Interrogé à ce sujet, le SEM a refusé d’entrer dans les détails d’un cas spécifique. Pour les associations, le risque d’une situation similaire à celle de 2013 où deux requérants liés aux Tigres tamouls avaient été renvoyés au pays puis détenus et torturés à nouveau dans la foulée est réel.

Questionné, le SEM répond qu’«avant d’ordonner l’exécution d’un éventuel renvoi vers le Sri Lanka, le SEM examine toujours dans chaque cas si l’exécution est licite, raisonnablement exigible et possible». Avant d’ajouter que «(…) le Sri Lanka ne connaît actuellement pas de situation de violence généralisée». Directrice de l’ONG allemande Justice for Sri Lanka, Subashini Wipfler, ne partage pas l’optimisme des fonctionnaires fédéraux. Elle explique: «Encore aujourd’hui, il n’y a aucune sécurité pour les personnes liées aux Tigres tamouls. S’il est renvoyé, il (Thasindu) sera arrêté dès son arrivée à l’aéroport et interrogé voire torturé.»

Une situation que le SEM semble étrangement avoir acceptée. Dans sa justification du refus, il ajoute avec un certain euphémisme: «Tout Sri Lankais ayant quitté son pays illégalement (…) est interrogé à l’aéroport.» Des pratiques de renvois condamnées par l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) qui s’est fendue d’une lettre auprès de la cheffe du SEM à l’été 2022 qualifiant les renvois au Sri Lanka d’«humainement indéfendable» et dont la mise en œuvre «mettrait la Suisse en violation de ses engagements légaux sur le plan international».

Dernière chance

Déboutée au niveau fédéral, la juriste de l’association Elisa Asile Sarah Vincent a déposé une demande de la dernière chance auprès de l’Office cantonal de la population genevois cette semaine. Basée sur l’alinéa 14.2 de la loi sur l’asile, elle permettrait à l’office de décider du maintien de Thasindu en Suisse en raison de sa bonne intégration sociale et économique. En parallèle, une copie des dossiers médicaux du requérant a été envoyée au Conseil d’Etat genevois. «Cette mesure permet au canton de montrer qu’il tient sa parole après les promesses faites suite aux manifestations pour protester contre l’encadrement des requérants en situation d’instabilité psychologique», explique la juriste. Contacté, le Conseil d’Etat genevois n’a pas voulu s’exprimer. LA LIBERTÉ

Une situation économique très préoccupante au Sri Lanka

Dans l’incapacité de régler les intérêts de sa dette, le Gouvernement sri lankais a fait état d’un défaut de paiement, en mai dernier. Faisant face à la plus grande crise économique depuis son indépendance en 1975, le pays a vu son taux de pauvreté doubler en passant de 13 à 25%, en l’espace d’une année. Dans le même temps, la dette du pays a augmenté avec plus de 51 milliards de dollars dus à des investisseurs étrangers, en particulier la Chine. Depuis, les restrictions d’électricité et les pénuries d’essence sont monnaie courante. Un rapport de la Banque mondiale prévoit ainsi que d’ici mars, près d’un tiers de la population risque de se retrouver dans une situation d’insuffisance alimentaire contre seulement un dixième en 2019.

Du côté des hôpitaux, la situation est tout aussi critique. Comme le rapportait l’ONG américaine Direct Relief, le principal hôpital du pays, l’hôpital national de Colombo, a dû réduire le stock de médicaments qu’il importait de 1300 à 60, en l’espace de quelques mois, pour des raisons budgétaires. Pour la défenseuse des droits humains Ambika Satkunanathan: «La crise est toujours très présente. La population souffre, en particulier la classe moyenne basse. Il n’est pas rare de voir des médecins demander des donations sur les réseaux sociaux pour financer certains médicaments pour leurs patients les plus démunis.» A cela s’ajoutent les tensions ethniques où les minorités musulmanes et tamoules exigent des comptes au gouvernement. AH

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