Chroniques

Backlash

En coulisse

Il y a peu, l’émergence de grands mouvements comme #MeToo, Black Lives Matter et consorts avait suscité un immense espoir, similaire à celui de la chute du mur de Berlin. La conscience collective franchissait un cap, on allait enfin changer les fondements de nos sociétés, mettre à bas le patriarcat, le racisme; dans le même esprit, les mouvements écologistes avaient le vent en poupe; l’épisode Covid avait démontré que les Etats pouvaient agir pour stopper la machine à produire, dominer et polluer. Pourtant, force est de constater que, partout sur la planète, les partis de droite raflent la mise aux élections, que les idées d’extrême droite sont plus prégnantes que jamais, que le racisme et le patriarcat restent toujours aussi puissants et que l’urgence écologique est loin de susciter les mesures qui s’imposent. Le retour de bâton est brutal.

Malgré les rapports toujours plus alarmants des scientifiques, les Etats n’ont instauré aucune mesure coercitive à l’égard des gros pollueurs, se contentant dans les meilleurs des cas de repeindre la machine capitaliste en vert pâle, dans une opération de greenwashing dérisoire. Plus inquiétant, les membres de la société civile qui manifestent pacifiquement ou expriment leur inquiétude par le biais d’actions symboliques sont la cible d’une répression féroce. A tel point que même l’ONU s’en est alarmée.1>Cf. l’interview de Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU, dans Libération du 30 mai 2023, https://bit.ly/42pFex1

Tant au niveau des instances dirigeantes que dans l’opinion publique, on assiste à un backlash, – un retour de bâton – réactionnaire.

Il suffit de parcourir les réseaux sociaux ou de lire les commentaires électroniques des lecteurs de grands quotidiens en réaction aux prises de positions progressistes de tel ou telle militant·e ou politicien·ne de gauche pour être estomaqué par le niveau de violence, d’attaque infecte, qui suinte de ces canaux-dépotoirs, reflet de l’aliénation massive en cours. Les éditoriaux de ces mêmes médias travaillent eux aussi à dévier le regard populaire des questions vitales, en indiquant les «bons» sujets d’indignation. Ainsi la récente offensive de Tamedia qui, à renfort de unes tapageuses, de sondages orientés et d’éditoriaux ridicules, proclamait l’hostilité des Suisses aux idées «wokistes», concept creux et passe-partout permettant de jeter le bébé avec l’eau du bain, et mettait fièrement en avant le fait que «seuls 7% veulent déboulonner les statues de personnages impliqués dans la traite d’esclaves.» Ouf, on est sauvé!

Autre gesticulation grotesque des éditocrates affiliés, la défense mordicus d’un légalisme de façade pour justifier la répression des dits «activistes du climat» et délégitimer leur combat. Et ces médias d’alerter le bon peuple sur un phénomène autrement plus périlleux que la spéculation sur les matières premières, les ventes d’armes ou la pollution des nappes phréatiques: le mini-saccage des terrains de golf, atteinte à la suprême liberté de détente des nanti·es autarcique!

Alors qu’aujourd’hui Rosa Parks et Nelson Mandela sont cités dans les livres d’histoire comme des figures incontournables et respectées de l’émancipation humaine, la légitimité de la désobéissance civile est une question qui n’est jamais traitée dans les lignes (ennemies) des faiseurs d’opinion. Derrière ces écrans de fumée pointe la volonté des porte-paroles du pouvoir de souder une majorité de gens derrière une conception minérale des rapports de classe, race et genre, des rapports sociaux, économiques et hiérarchiques. Les résultats sont sans appel: la méthode fonctionne.

Pourquoi, à l’ère où l’information circule à la vitesse de la lumière, les propagandes nationalistes, virilistes ou classistes sont-elles aussi efficientes? Passons pudiquement sur la constance séculaire des Suisses à prendre le parti du pouvoir économique et à réussir le tour de force d’être le seul peuple à pouvoir s’exprimer sur à peu près tout afin que rien ne change, et interrogeons-nous sur la dimension mondiale du backlash; du Chili à la Russie, de la Hongrie à l’Inde, de la France à la Turquie, la tendance est générale. Droite dure, libéralisme à tout crin et autoritarisme ont le vent en poupe. Pourquoi? Bien malin qui saura apporter une réponse satisfaisante. Tentons une piste basique: l’efficacité propre au système, rodé depuis la nuit des temps, qui repose essentiellement sur le levier de la peur, auquel s’ajoutent le flou idéologique et le confusionnisme tous azimuts émergés depuis la fin de la guerre froide. Mais face à la machine et à ses ramifications toujours plus incontrôlables, incontrôlées et inquiétantes, pointons aussi les erreurs des sphères progressistes: repli sur l’entre-soi microcosmique, lacunes pédagogiques, divisions stériles. Convenons que la tâche est ardue, l’ennemi tentaculaire, et, malgré les écueils, rappelons que toute résistance est non seulement méritoire, mais fondamentale. Merci à toutes celles et ceux qui luttent au quotidien contre le backlash!

Notes[+]

Dominique Ziegler est auteur-metteur en scène.
Prochain spectacle: Neolithica, en tournée dans les communes genevoises du 27 juin au 14 juillet,  www.dominiqueziegler.com

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lundi 8 janvier 2018

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