Chroniques

Convergences des haines

En coulisse

Il y a dix ans, parlant de la France, je concluais une de mes chroniques par: «Ce n’est qu’une question de temps avant que la convergence s’effectue, d’abord entre la droite classique et le FN, puis entre le PS et le FN. Entre partis frères.» 1>«Le Grand méchant FN», Le Courrier, 28.03.2014.

Eh bien on y est! Le Rassemblement national (ex-FN) et la plupart des partis dits républicains défilent main dans la main et parlent d’une même voix, unis par leur soutien indéfectible à l’Etat d’Israël, aujourd’hui responsable de la mort de près de 30 000 Palestinien·nes. C’est l’Union sacrée, en marche sur les corps des enfants massacrés, des familles réduites en cendre, des personnes affamées dans les ruines…

Le paysage médiatique est à l’unisson, déshumanisant les victimes, relayant les fake news et appels aux meurtres proférés par les thuriféraires de l’Etat d’Israël. On déroule le tapis rouge au délirant Meyer Habib (entre autres), député apparenté aux Républicains, qui n’hésite pas à traiter la population de Gaza de «cancer» 2> https://www.youtube.com/watch?v=_OPU8H6EIXssans que cela ne génère la moindre sanction. La liste des interventions odieuses est sans fin.

Inversement, les militant·es pro-palestinien·nes sont censuré·es, amendé·es, poursuivi·es, menacé·es. Les manifestations sont interdites, des conférences annulées. La dystopie continue de plus belle. Toute la mascarade démocratique se dégonfle devant la réalité des faits. Les grandes déclarations de principes antifascistes de salon sont remisées au placard. Le refoulé colonial apparaît au grand jour, de même que la raison évidente de la convergence: la haine viscérale des Arabes.

A vrai dire, en France (mais aussi ailleurs), le terrain était préparé depuis belle lurette. La stigmatisation perpétuelle des musulman·es, le faux-nez de la laïcité, le matraquage médiatique et les amalgames mensongers ont contribué à déshumaniser les Arabes (musulman·es ou non), où qu’ils soient, aux yeux d’une large part de l’opinion publique.

La séquence de racisme décomplexée que nous vivons en ce premier quart de XXIe siècle dépasse l’entendement. Bien que l’éradication d’une population entière se déroule sous nos yeux, minute par minute, on continue à donner du «soutien indéfectible» à Israël ou du «notre ami» à Netanyahou, boucher en chef.

Les journalistes tués ne suscitent par ailleurs aucun émoi de la part des grands groupes de presse occidentaux. Sur I24News, chaîne de propagande franco-israélienne, BFMTV ou CNews, les déclarations les plus stupéfiantes se font entendre sans susciter non plus la moindre réaction du Conseil supérieur de l’audiovisuel ou de la classe politique française.

Dans les médias sociaux-démocrates de bon aloi comme L’Obs, on tente de faire un peu plus «nuancé»; ainsi un des chouchous de l’intelligentsia, Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, déclare dans une interview (entre deux critiques au gouvernement Netanyahu pour bien marquer sa différence): «Personne ne veut tuer des civils. Mais pouvait-on faire autrement? Si l’armée procède avec cette puissance de feu, c’est pour épargner ses soldats. Pendant la Seconde guerre mondiale, les Alliés ont toléré la mort d’enfants sous les bombes s’abattant sur Dresde.»3> L’Obs, 14.10.2023.

Outre le rappel de la hiérarchie des vies humaines inhérente au logiciel sioniste (considérant les Palestinien·nes au pire comme des animaux, au mieux comme des dommages collatéraux) et désormais adopté par la «communauté internationale», l’intervention du docte Barnavi laisse déjà pressentir le prochain volet de l’arnaque: une fois les massacres achevés, Netanyahou quittera son poste, sans doute contraint, et on présentera au monde un visage du sionisme un peu plus convenable qui continuera l’aventure coloniale comme de coutume, concédant au mieux des bantoustans aux Palestinien·nes survivant·es des massacres de Gaza et des exactions en cours en Cisjordanie.

Mais en ces temps de «droit de se défendre», place au fascisme décomplexé sur fond de modernisme à l’occidentale: entre deux boucheries, les soldats israéliens dansent la techno sur les ruines de Gaza et de jeunes fascistes volontaires, issus de toutes régions du monde (des Etats-Unis au Pérou), prennent EasyJet sous le regard enamouré des caméras4>Lire S. Halimi, P. Rimbert, «Le journalisme français, un danger public», Le Monde diplomatique, février 2024. pour rejoindre les rangs de Tsahal, unis par le même souci d’éradication des Palestinien·nes.

Snipers, drones tueurs, bombardements, tanks… le choix de la méthode est vaste, l’impunité est totale. On peut aussi dédicacer les bombes qui tombent sur Gaza. Preuve de leur sens de l’humour subtil, des soldats israéliens montrent sur les réseaux sociaux une bombe sur laquelle ils ont ironiquement écrit le nom de David Guiraud, député de la France insoumise et opposant indéfectible au massacre en cours.

Les gouvernements d’Allemagne, du Royaume-Uni, des Etats-Unis soutiennent indéfectiblement la politique génocidaire de l’Etat d’Israël, applaudis par leur extrême-droite locale.

En Suisse, malgré une mobilisation magnifique de la société civile, le soutien total des partis de droite (et d’extrême-droite bien sûr) à Israël n’éclaircit pas le tableau.

Depuis son arrivée à la tête du Département fédéral des affaires étrangères, Ignazio Cassis a démontré plus d’une fois son alignement sur les positions israéliennes – «l’UNWRA fait partie du problème plutôt que de la solution», disait-il en 20185>P. Krähenbühl, «Israël veut travailler avec la Suisse à faire disparaître l’UNRWA» [agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens], Le Temps, 05.09.2019, tinyurl.com/mt6yatvr.

La Suisse officielle, dépositaire des Conventions de Genève dont elle semble peu se soucier, participe elle aussi au bel effort de convergence des haines.

Notes[+]

* Auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

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lundi 8 janvier 2018

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