Cinquante ans après l’AMSL, des mesures urgentes s’imposent!
En 1972, la Confédération adoptait un arrêté urgent (AMSL) pour lutter contre la crise du logement. Cinquante ans plus tard, de nouvelles mesures urgentes sont indispensables.
La fin des années 1960 avait vu l’inflation augmenter, jusqu’à dépasser les 10% dans la première moitié des années 1970. Le taux de chômage était en hausse. Cette crise économique a duré vingt ans. La période a coïncidé avec le démantèlement de la protection des locataires qui a pris fin le 19 décembre 1970. C’est à cette date qu’ont été supprimées les dernières mesures de protection des locataires contre les loyers élevés. Les bailleurs étaient dès lors autorisés à en fixer le montant à leur guise. Une forte spéculation a suivi et le Conseil fédéral a dû prendre des mesures urgentes, avec l’Arrêté instituant des mesures contre les abus dans le secteur locatif (AMSL). Le 5 mars 1972 à la suite d’une votation populaire, la Confédération a été chargée de légiférer en faveur des locataires.
La situation actuelle a des points communs à celle des années 1970. La pénurie s’aggrave. Le nombre de logements disponibles à la location a chuté de 0,23% en 2022 et cette baisse va se poursuivre. A Genève, le taux est tombé à 0,37%. L’inflation fait son retour. Elle atteint 2,9%, mais ce chiffre ne reflète pas la réalité qui frappe les classes populaires et moyennes. Les prix de l’alimentation ont flambé de 5,4%, le logement de 3,7% et bien sûr les primes d’assurance-maladie (+ 6,6% en 2023) qui vont augmenter encore en 2024. Une hausse des prix est désormais attendue dans les services. Pendant ce temps, les salaires réels baissent.
La crise profite aux bailleurs. L’indexation des loyers a été introduite en 1972 alors que la majorité politique refusait de discuter d’une échelle mobile des salaires face à l’inflation. De même, les critères de fixation des loyers ont été choisis sans lien avec le besoin et la capacité financière de la majorité des ménages. Ces trous dans la protection des locataires sont des menaces. Les baux indexés se sont généralisés et les hausses se multiplient. Elles sont pourtant non seulement injustifiées, mais ajoutent de l’abus à l’abus. Pourquoi permettre aux bailleurs de majorer les loyers parce que les prix à la consommation (énergie, produits laitiers, assurance maladie, etc.) augmentent? Ces éléments sont sans lien. L’indexation ne se limite par ailleurs pas à la part non abusive du loyer. L’inflation va donc gonfler les 10 milliards de francs que les locataires paient déjà chaque année en trop.
Et nous n’en avons pas fini avec les majorations. A l’inflation va s’ajouter la hausse du taux de référence. Ces critères se combinent et les loyers risquent de devenir impayables pour les locataires en place. Il faut préciser que le Tribunal fédéral a remis en cause la possibilité de demander une baisse de loyer après quelques années d’un bail dont le loyer initial n’aurait pas été contesté.
Un nouvel arrêté urgent est donc indispensable pour geler les loyers d’ores et déjà abusifs. Un moratoire sur les hausses de loyer s’impose. C’est ce que propose ma motion parlementaire (23.3337) qui s’inspire de la LDTR [Loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation], la principale loi de défense des locataires à Genève. La LDTR plafonne les loyers après travaux en laissant au bailleur qui estime que son rendement n’est pas suffisant le soin de le démontrer pour obtenir un déplafonnement.
Il faut cibler les profits abusifs des bailleurs. Cette revendication unit les locataires, quelles que soient leurs situations. L’unité est nécessaire pour imposer à la Confédération de respecter la Constitution et de prendre des mesures. Les milieux immobiliers l’ont compris. Ils cherchent donc à diviser et à présenter les locataires comme responsables de cette crise. Les aîné·es ont récemment été ciblé·es au motif qu’elles et ils bénéficient parfois de baux anciens, peuvent ainsi payer des loyers moins chers et vivre dans des logements plus spacieux.
Or, il n’y a aucun vase communicant entre les locataires: les bailleurs ne vont pas réduire pour autant le niveau des loyers récents s’ils peuvent augmenter plus fortement ceux des baux anciens. Il faut aussi rejeter les explications pseudo-économiques des bailleurs qui invoquent une loi du marché. Il n’existe pas un véritable marché du logement dans les agglomérations, seulement des bailleurs qui, au nom de leur droit de propriété, accaparent une part croissante de la richesse produite par les salarié·es (rente foncière).
Christian Dandrès est conseiller national et juriste à l’Asloca. Il s’exprime ici à titre personnel.