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L’activité missionnaire est protégée par la Convention

Chronique des droits humains

Le 7 mars dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit à l’unanimité que la Russie avait violé la liberté de pensée, de conscience et de religion, garantie par l’article 9 de la Convention, pour avoir sanctionné d’une amende administrative un ressortissant américain séjournant régulièrement en Russie qui organisait à son domicile des réunions bibliques sans en avoir informé les autorités. En outre, elle a considéré que la différence de sanction entre un ressortissant russe et un ressortissant étranger, prévue par la législation correspondante, constituait une discrimination prohibée par l’article 14 de la Convention1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 7 mars 2023 dans la cause Donald Jay Ossewaarde c. Russie (3ème section)..

Le requérant est né en 1960 et vit avec son épouse à Oriol, à 370 km au sud-ouest de Moscou, sur la base d’un permis de séjour permanent depuis 2005. Chrétiens baptistes, ils réunissaient régulièrement des personnes à leur domicile pour prier et lire la Bible. Le requérant invitait personnellement les gens à ces réunions ou déposait des invitations dans les boîtes aux lettres. Le 14 août 2016, trois policiers pénétrèrent dans le domicile du requérant, qui n’était pas fermé à clé afin d’en permettre l’accès aux personnes qui souhaitaient se joindre à la réunion dominicale pour chanter des hymnes et écouter un sermon. Après le service, les policiers se sont entretenus avec les personnes présentes et ont amené le requérant au poste de police local. On releva alors ses empreintes digitales et on lui montra la lettre d’une personne qui se plaignait de l’affichage de tracts évangéliques sur le panneau d’informations de l’entrée d’un immeuble résidentiel. Les policiers dressèrent un procès-verbal d’infraction administrative pour pratique d’activités missionnaires illégales par un étranger. Puis l’intéressé fut conduit directement au tribunal de district où eut lieu une courte audience à l’issue de laquelle il fut reconnu coupable d’avoir pratiqué des activités missionnaires sans avoir informé les autorités de la fondation d’un groupe religieux et condamné à une amende de 40’000 roubles, soit environ 650 euros à l’époque. Les recours successifs qu’il forma contre cette condamnation furent tous rejetés par les autorités judiciaires saisies.

La Cour rappelle que la liberté de manifester sa religion comprend en principe le droit d’exprimer ses opinions religieuses en les communiquant à autrui et le droit d’essayer de convaincre son prochain, par exemple par l’enseignement, faute de quoi la liberté de changer de religion ou de conviction, consacrée par la Convention, risquerait de rester lettre morte. L’acte consistant à transmettre des informations sur un ensemble particulier de croyances à d’autres personnes qui n’ont pas ces croyances – connu sous le nom de travail missionnaire ou d’évangélisation dans le christianisme – est protégé par la Convention au même titre que d’autres actes de culte, tels que l’étude et la discussion collective de textes religieux. En effet, le travail missionnaire est une dimension vitale d’une religion qui implique non seulement d’affirmer ses croyances, mais aussi d’inviter les autres à considérer ces croyances et de chercher à les persuader de leur validité. La seule restriction admissible à cet exercice est la protection contre les éléments de coercition ou de violence tels que l’exercice de pressions sur des personnes en détresse ou dans le besoin, ou l’abus d’une position d’autorité dans la hiérarchie militaire ou dans une relation de travail. Enfin, la Cour a rappelé que si les Etats sont en droit d’exiger l’enregistrement des confessions religieuses, sanctionner des membres individuels d’une entité religieuse non enregistrée pour avoir prié ou manifesté d’une autre manière leurs convictions religieuses est incompatible avec la Convention. Admettre le contraire reviendrait à exclure les croyances religieuses minoritaires qui ne sont pas formellement enregistrées auprès de l’Etat et, par conséquent, reviendrait à accepter qu’un Etat puisse dicter ce qu’une personne doit croire.

Dans le cas présent, le requérant s’était livré à des activités d’évangélisation pendant plus de dix ans, réunissant des gens chez lui pour célébrer le culte et discuter de la Bible en communauté, sans avoir recours à des méthodes de prosélytisme inappropriées et sans forcer quiconque à participer à ces réunions. La nouvelle loi russe, adoptée en 2016, a exigé une autorisation préalable pour toute association religieuse et exclu les domiciles privés de la liste des lieux où le droit de communiquer des informations sur la religion peut être exercé, excluant ainsi toute évangélisation individuelle, de manière contraire aux garanties données par la Convention.

Cette décision européenne fait écho aux récents débats politiques et juridiques en Suisse, notamment à Genève, où le Tribunal fédéral a même corrigé sur un point une loi adoptée par le peuple2>Arrêt du Tribunal fédéral du 23 décembre 2021 dans la cause 2C_1079/2019 publié au recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral 148 I 160..

Notes[+]

Pierre-Yves Bosshard est avocat au Barreau de Genève et membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

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