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Lützerath, la fin d’une utopie?

Un avenir à désirer

Lützerath: le nom d’un village allemand qui a pris une signification importante ces dernières semaines. Pour certain·es militant·es, un lieu de vie pendant deux ans et demi. Pour beaucoup, un lieu de lutte, de résistance, d’utopie. Lützerath se situait juste à côté d’une énorme mine de charbon à ciel ouvert. «Situait» parce que le dimanche 15 janvier, la police a terminé l’évacuation du village de résistance et poursuivi la démolition des bâtiments décorés avec soin et des cabanes dans les arbres… La veille, 35 000 personnes avaient manifesté contre la destruction du lieu. Mais pourquoi ce village est-t-il devenu le lieu central de la lutte climatique ces dernières semaines? Sous Lützerath se trouve du charbon, 280 millions de tonnes plus précisément. Et le gouvernement allemand, ainsi que RWE, l’entreprise qui exploite la mine à côté du village, ont décidé qu’ils voulaient ce charbon.

Et pourtant, la mine en question fait partie des 425 «carbon bombs» du monde, ces énormes projets d’extraction d’énergies fossiles dont les émissions de CO2 pourraient dépasser une gigatonne. Si ces projets sont réalisés, ils feront exploser le budget d’émissions de CO2 que nous ne devons collectivement pas dépasser pour rester en dessous de la limite du 1,5°C de réchauffement planétaire. En Allemagne, il y a deux de ces bombes carbone, les mines de Hambach et de Lützerath, justement. Le constat est donc vite tiré: le charbon sous Lützerath doit rester dans la terre. «Keep it in the ground». Aussi simple que ça.

Ce constat, pourtant si simple, amène beaucoup de questions. Dans une précédente chronique, nous avons thématisé une possible socialisation du secteur énergétique. En effet, le système actuel ne semble pas en mesure de prendre les décisions nécessaires pour assurer la sauvegarde de notre planète; une socialisation du secteur énergétique permettrait d’éviter une situation comme à Lützerath et ouvrirait la possibilité d’une décision collective qui pourrait signifier la fin du charbon, la fin de RWE, la fin des énergies fossiles. Mais, la restructuration d’un secteur aussi énorme entraîne aussi une restructuration conséquente du marché du travail. Concrètement, tous les travailleurs et toutes les travailleuses de RWE devraient trouver un autre emploi. Sous l’angle de la justice sociale, une garantie d’emploi pourrait être la solution.

Lützerath aurait pu être le terrain d’expérimentation d’une telle garantie d’emploi, par exemple sous la forme d’un revenu de transition écologique (RTE). Imaginé par Sophie Swaton, philosophe et économiste, le RTE vise à créer des incitations à la transition écologique en octroyant un salaire à toutes les personnes qui travaillent dans un domaine considéré comme socialement et écologiquement important. Loin d’être un rêve inatteignable, le RTE est déjà expérimenté dans quatre territoires en France. La mise en place du modèle passe par la création d’une coopérative de transition écologique qui met en réseau les personnes bénéficiant du RTE, les aide à collaborer et à mutualiser leurs ressources, et organise la transition au niveau local en réfléchissant aux besoins du lieu. Naturellement, se pose la question du financement de ces coopératives. Pour l’instant, en France, elles bénéficient de différentes subventions, mais ont une ambition d’autofinancement. La mise en place d’une taxe globale sur les émissions carbone, par exemple, pourrait aider à financer ces coopératives.

L’histoire de Lützerath aurait pu se terminer autrement. La création d’une telle coopérative aurait par exemple permis de rassembler les expériences des habitant·es du village, des militant·es qui l’ont défendu, des travailleuses et travailleurs de RWE, afin d’élaborer un plan de transition où chaque personne aurait pu trouver sa place. Car il y a suffisamment de travail, par exemple, pour entreprendre la réparation des dégâts causés par la mine de charbon et rendre cette zone à nouveau habitable pour la faune et la flore. Ce village, rasé pour que RWE puisse continuer à engranger des superprofits, aurait pu devenir un lieu d’expérimentation d’une réelle transition écologique.

«Lützi Bleibt!» (Lützi reste!) restera toujours un lieu où un mode de vie alternatif a été expérimenté et où les imaginaires sont profondément ouverts. Imaginer à quoi ce village aurait pu ressembler nous permet de construire ces alternatives à d’autres endroits, partout!

system-change@climatestrike.ch

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mardi 19 avril 2022

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