Chroniques

Pour que la finance revienne sur terre

Un avenir à désirer

Pour de nombre d’écologistes, cela marquera un tournant: Credit Suisse, qui fut pendant plusieurs années une cible centrale de dénonciations pour ses investissements fossiles, disparaît du jour au lendemain. Nous pouvons cependant légitimement redouter que son engloutissement dans UBS nous mette face à un mastodonte encore plus démesuré et ne signifie en rien la disparition d’investissements écocidaires décidés en Suisse. La lutte continue…

Toujours est-il qu’avec la chute de ce symbole de la finance helvétique, à côté du brouhaha des autorités suisses empressées à tout faire pour éviter une déroute encore plus généralisée, un champ discursif s’est ouvert. Qui est responsable? Quelles solutions pour qu’une telle situation ne se reproduise pas? Le monde politique s’accorde pour condamner les agissements de Credit Suisse, certains en pointant les bonus indus des managers (qui ont atteint jusqu’à 160 millions de francs, alors même que la banque faisait de piètres performances), d’autres en mettant en avant la proximité entre le PLR et la banque. A gauche, on fait remarquer qu’on appelait de longue date à une régulation plus stricte du secteur. Dans tous les cas, nous avons l’impression de vivre une césure historique où la nécessité d’une réglementation plus sérieuse ne peut être contredite par personne, tant les dangers de ce capitalisme débridé sont patents. Preuve en est, nous avons eu la grande chance – et l’étonnement – d’entendre à la RTS le terme de nationalisation comme potentielle résolution de la crise1>Autant Marc Chesney (19h30, 20.03.2023) que Jean-Pierre Danthine, ancien vice-président à la BNS (Forum, 21.03.2023), ont assuré que la nationalisation était une possibilité.!

Pour alimenter la réflexion sur les manières d’éviter non seulement qu’une crise bancaire ne se répète, mais aussi pour s’acheminer vers une place financière radicalement autre, voici quelques idées pêle-mêle, neuves ou réchauffées. D’abord, il semble évident qu’une régulation plus stricte du secteur bancaire suisse s’impose. Par exemple, les propositions de séparer les activités d’investissement de celles de gestion de fortune paraissent être une première bonne idée. Pourquoi par ailleurs ne pas imposer une taille limite pour chaque banque afin d’éviter que celle-ci devienne trop puissante? Sans «banque systémique», pas de risque systémique!

Ensuite, comme le propose la Grève du climat, il serait judicieux de coupler les garanties de l’Etat et la mise à disposition de liquidité de la BNS à «des directives claires en matière de politique climatique: transparence totale des flux financiers, aucun franc dans des projets néfastes au climat, paiements de réparation aux personnes les plus touchées par les dommages causés dans le Sud global». De manière générale, pour que les institutions bancaires cessent d’être des véhicules de spéculation occupés à guerroyer sur des marchés internationaux, une direction nettement plus stricte – interdiction d’investissements dans certains secteurs et obligation d’un minimum dans d’autres – est hautement souhaitable.

Une solution qui nous éviterait le gonflement sans fin des restrictions à l’économie est de supprimer les incitations à la démesure: retirer UBS aux mains de ses actionnaires. La nationalisation, formulée dans le débat public mais rejetée car «non suisse» – preuve d’un triste dogmatisme autant que d’un nationalisme prétentieux –, est une vraie possibilité. En effet, constituer ce nouveau géant en service public le sortirait des logiques d’accumulation sans fin.

Mais l’attentisme de l’Etat dans cette affaire nous rappelle qu’une grande méfiance à son égard est de mise. Au lieu de remettre la banque à la seule responsabilité du gouvernement, elle pourrait être «socialisée», c’est-à-dire mise sous contrôle de ses usager·es, ses salarié·es et des autorités politiques. Ainsi, ce seraient des acteurs et actrices de la société civile qui siègeraient aux assemblées générales. L’instance suprême de décision de la banque passerait d’une réunion de type «actionnaires, actionnaires, actionnaires» à quelque chose comme «employé·es, usager·es, élu·es, associations environnementales». Mettre ces groupes aux commandes ne serait-il pas une bien meilleure assurance de voir les préoccupations de la société représentées dans les choix de la banque, tout en la soustrayant à la frénésie de la bourse? Petit effet bénéfique annexe: la fin de dividendes mirobolants qui créent une classe d’ultra-riches dont l’empreinte écologique est extrême, et le retour de tous ces millions à la collectivité pour financer la transition.

Notes[+]

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mardi 19 avril 2022

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