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Et si on planifiait avec des algorithmes?

Un avenir à désirer

En juillet, Turin accueillait dans une chaleur ironiquement caniculaire des grévistes du climat venu·es du monde entier. Après la pandémie, la détermination des activistes pour œuvrer à la bifurcation vers un monde décarboné était intacte. Et de la détermination, il en faudra: lors de son intervention, le géographe Andreas Malm a rappelé que les majors du fossile feront tout leur possible pour éviter une perte de leur chiffre d’affaires. S’impose, selon lui, l’implication des pouvoirs publics pour planifier une transformation raisonnée de l’économie.

La planification économique comme alternative historique au marché est-elle donc de retour? Dans notre dernière chronique 1> «Et si on planifiait?», Le Courrier, 13 juillet 2022. Prochain rendez-vous mercredi 7 septembre., nous défendions sa nécessité tout en pointant ses nombreux problèmes, que l’histoire de l’URSS a tristement exemplifiés. Mais depuis la chute de l’Union soviétique, l’époque a changé, et de nouvelles propositions de planification moins rigide et bureaucratique remettent cette idée à l’ordre du jour.

Pour de nombreux penseurs et de nombreuses penseuses, la haute complexité de notre monde et l’énorme quantité d’information à prendre en compte rendent impossible voire dangereuse une planification intégrale. Cette critique était certes valable à l’époque soviétique où, faute de puissance de calcul suffisante, la planification était réalisée avec des méthodes simplificatrices et une gestion des données basique.

Cependant, la situation est maintenant différente. La technologie et la rapidité de calcul des ordinateurs ont grandement évolué. A l’heure du Big Data, notre capacité à gérer des quantités conséquentes de données a été démultipliée, rendant envisageable une planification plus fine.

La planification technologique ne résout pourtant pas toutes les difficultés. De nombreuses informations nécessaires à la formation d’un plan restent ardues à obtenir. Comment connaître par exemple les réelles capacités de production d’une petite boulangerie ou les besoins en stylos d’un secrétariat?

Dans un autre registre, le risque d’une prise de pouvoir antidémocratique est toujours présent et pourrait même être amplifié par la centralisation des décisions économiques.

Pour supprimer le risque de concentration de pouvoir, une proposition récurrente concerne la décentralisation de la gestion de l’économie. Concrètement, cela impliquerait la mise en place de comités de citoyen·nes à différents niveaux territoriaux. Le capital serait toujours alloué par l’Etat, mais uniquement en fonction de la délibération et des décisions de ces comités.

Cette décentralisation permettrait de donner corps à une réelle «démocratie économique» dans laquelle la population est largement impliquée dans les choix économiques qui l’impactent. L’orientation de l’économie ne se ferait plus au travers du seul critère de rentabilité et une économie plus respectueuse de l’environnement serait alors possible, moyennant une population consciente des enjeux écologiques.

Il nous faut cependant garder en tête que l’économie actuelle produit une énorme quantité de biens et de services et que, même si nous voulons tendre vers une société plus sobre, le processus de délibération dans une économie planifiée de façon décentralisée restera relativement lourd. En effet, il est probable que les comités doivent passer plusieurs heures par semaine à délibérer sur des questions économiques très précises. Avec un tel engagement chronophage, il n’est pas exclu que la participation dans ces comités s’essouffle.

La planification intégrale de l’économie, même améliorée par la technologie actuelle ou par une décentralisation conséquente, comporte des défauts rédhibitoires. En revanche, il reste envisageable d’utiliser des principes planificateurs pour certains secteurs essentiels de l’économie: par exemple, un service public de l’énergie serait peut-être le plus approprié pour gérer sur le long terme ce secteur sensible.

Pour le reste de l’économie, l’enjeu brûlant de notre temps est de trouver la forme que pourrait prendre une hybridation entre la planification – rendue nécessaire pour faire correspondre écologie et besoins économiques – et l’usage d’un marché pour garantir l’autonomie des entreprises et des individus.

Dans les prochaines chroniques, nous explorerons les idées novatrices d’auteurs et d’autrices qui cherchent à dessiner, en contrebalançant méfiance et intérêt tant pour le marché que pour la planification, une économie qui laisse toute sa place à l’écologie et à l’autonomie de chacun·e.

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