Chroniques

Abstention: piège à con?

Un avenir à désirer

Même les marxologues les plus aguerris se sont cassé les dents sur cet épineux sujet: «la question de l’Etat». Bien que la Grève du Climat se construise à une certaine distance du monde politique institutionnel, à chaque élection, la question se repose. Qu’en penser? Piège à con ou arène décisive? Faut-il appeler à voter? Si oui, pour qui? Une fois de plus, frottons-nous à ce dilemme éternel.

En scrutant l’Etat, on croit souvent y voir deux âmes. La première: une sorte d’îlot a priori non-marchand, capable de réagir à des considérations écologistes. L’Etat peut de ce fait sembler le meilleur allié pour réguler un marché immoral tellement livré à lui-même. Cependant, sa seconde âme apparaît davantage comme une chambre d’écho des intérêts économiques. Elle déçoit sans cesse les espoirs progressistes. Ce point-ci fait consensus dans nos rangs: l’Etat actuel est une démocratie largement distordue. Les intérêts pécuniaires qui s’insinuent dans les couloirs parlementaires ne nous échappent pas. Les sommes, enfin rendues en partie publiques, obtenues par certaines formations politiques sont une négation d’une démocratie égalitaire – pour oser le pléonasme.

Des propositions pour transformer cette seconde âme sclérosée de lobbyisme en réelle agora délibérative existent depuis bien longtemps. Pour n’en citer que quelques-unes dans un ordre croissant d’audace: plafonnement des dépenses de campagnes (Les travaux de Julia Cage notamment formulent des idées pour démocratiser le financement des partis.), mandat révocable ou limité dans le temps, tirage au sort. Ces idées, qui connaissent une nouvelle vie, par exemple avec les assemblées citoyennes d’Extinction Rébellion, et auxquelles on pourrait rajouter la démocratie dans les entreprises, comme nous l’avons thématisé dans nos chroniques, méritent une attention certaine.

En attendant ces transformations qui démocratiseraient la démocratie, il reste que l’Etat est là, face à nous. Et c’est un concentré de pouvoir. Pendant les quatre prochaines années, le Parlement votera des lois qui auront un réel effet sur nous, notre environnement, nos mouvements aussi. Prosaïquement, pour nous, ne pas voter (à gauche ou, mieux, anticapitaliste), c’est laisser le champ libre à la droite, bien décidée à se moquer de l’environnement, ou à accorder aveuglément foi à la «science salvatrice». Voter donc, c’est bien. Surtout lorsqu’il s’agit de voter contre le climato-scepticisme et le nationalisme. Et voter pour une politique écologique, sociale, solidaire.

Reprenons. Quel est donc ce «problème du Parlement»? Sa composition désespérément de droite et ses décisions décidément insuffisantes, voire contre-productives? Dans ce cas, les élections sont un moment crucial à investir. Ou alors, le problème résiderait dans sa structure même qui rendrait une majorité de gauche incapable de mener un quelconque changement écologique, car bloquée par les lobbys et le chantage de l’économie? Ou est-ce encore le mode d’élection du Parlement qui rendrait en réalité une majorité de gauche impossible, empêchée par le soutien patronal aux partis de droite?

Dans tous les cas, du point de vue d’un mouvement social, plus le Parlement nous est proche, plus il sera possible de lui arracher des avancées significatives. Le jeu est trop important. Même si ses règles sont injustes, il nous semble irresponsable de ne pas y jouer.

Mais derrière notre position consensuelle consistant à appeler à voter à gauche tout en rappelant l’importance des mouvements sociaux, de la rue, de la pression populaire, se cache l’indécidable question stratégique. Comment, se demande-t-on sans cesse, arrivera-t-on à mener l’écologie à son stade requis? En termes programmatiques, par quelle voie parviendra-t-on à faire interdire les fossiles, à adopter des plans climat sociaux et justes, à reprendre un contrôle démocratique sur les entreprises écocidaires?

Formulons des hypothèses: des mouvements sociaux devenus suffisamment larges et déterminés pour arracher à l’Etat leurs revendications radicales. Ou alors un ras de marée électoral qui laisserait les coudées franches aux député·es pour mettre en place les mesures adéquates. Mieux: ces deux hypothèses en simultané? Ou encore (pour le plaisir): une vraie révolution renversant le gouvernement suisse et mettant à sa place une démocratie écosocialiste par le bas…

L’appel à projet est ouvert. Mais dans tous les cas, nous n’avons pour l’instant pas le luxe de délaisser ni les urnes ni la rue.

www.climatestrike.ch/system-change

Opinions Chroniques Grève du Climat suisse Un avenir à désirer

Chronique liée

Un avenir à désirer

mardi 19 avril 2022

Connexion