Chroniques

Entrée en MAHtière

L’IMPOLIGRAPHE

Il y a à Genève depuis plus d’un siècle (il a été inauguré en 1910) un bâtiment assez massif, sans grande élégance, mal situé entre deux autoroutes urbaines, avec une vue imprenable sur l’ancienne prison de St-Antoine, mais classé parce qu’il est représentatif de ce que l’on édifiait à l’époque pour l’usage qu’on voulait en faire: un grand musée encyclopédique. Ce bâtiment, c’est celui du Musée d’Art et d’Histoire, le MAH. Et il fait vraiment son âge. Alors, on se convainc qu’il faut le rénover. Le «restaurer». Et une fois qu’on s’est dit qu’il fallait le «restaurer», on a ajouté que, tant qu’à faire, il fallait l’«agrandir».

Et là, les questions se sont abattues en escadrilles – comme les emmerdements, et souvent en les accompagnant… A l’ordre du jour du Conseil municipal de Genève d’aujourd’hui, on se retrouve donc avec une proposition du Conseil administratif d’un crédit de 19,9 millions destiné à l’étude «de l’agrandissement et de la restauration» du musée. Et nous voilà convoqués à un bon vieux dilemme de dernière les fagots: on fait quoi, de cette proposition? On l’accepte, et on l’étudie, ou on refuse d’entrer en matière parce qu’on a des doutes, voire plus si mésentente, sur le projet qui pourrait sortir du concours qu’elle ­finance?

Bref, on entre en matière sur le crédit d’étude, on renvoie le projet en commissions, on ouvre le débat, on auditionne, on conteste, on amende, on triture, on redéfinit le cadre du concours… ou on décide de ne rien faire, de prendre la pose avant de prendre la pause? C’est bien ce choix-là qu’on va devoir faire. Et que l’auteur de ces lignes s’apprête à faire en la votant, cette entrée en matière. Justement pour que s’ouvre le débat sur le projet de «l’agrandissement et de la restauration» du vieux musée encyclopédique genevois. Pour que l’on puisse le contester, ce projet, en s’appuyant sur des auditions en commission (y compris, ou surtout, des auditions d’opposants). Pour qu’on puisse déjà amender le cadre du concours, répondre à deux ou trois questions (restauration et agrandissement, ou restauration seule? et si agrandissement, où ça? sur la butte de l’Observatoire, ou pas?)

Tout cela, le débat, la contestation, les auditions, les amendements, les questions, suppose qu’on entre en matière sur ce dont on peut, et qu’on doit, débattre… Surtout quand on est à peu près certain qu’au bout du bout du compte, quel que soit le projet, c’est dans les urnes d’une votation populaire après un référendum que son sort se scellera… Quand il a quelque chose à trancher, c’est le peuple souverain qui tranche. Des projets ou des têtes, selon les lieux et les époques…

Le directeur du MAH, Marc-Olivier Wahler, a annoncé une «révolution muséographique». Il prévoit de montrer «sans hiérarchie», et dans leur totalité, le million d’objets des collections (d’autres parlent de 650 000 objets, on n’en est pas à 350 000 près): «un silex de la préhistoire côtoiera une icône orthodoxe, un instrument de musique, une gravure de Vallotton» et «c’est tout le musée qui va changer», pour qu’y soit développé «un sentiment d’appartenance»: «ce qui importe, c’est que le visiteur devienne un acteur à part entière dans l’espace physique de l’exposition», et prenne «possession du lieu». La question est alors posée: «Comment amener au musée celles et ceux qui n’y vont pas?» ce non-public que le musée n’attire pas, parfois même repousse, et que le directeur du MAH veut y faire venir en le rendant «moins intimidant». Mais comment? En faisant d’un musée autre chose qu’un musée? En en faisant une agora?

«Les œuvres et les objets ne font pas le musée, ils sont à son service», avait écrit la commission d’experts nommée pour phosphorer sur l’avenir du MAH… Mais au service de quel musée, de quel projet muséal? «Un musée ne peut plus se contenter de gérer l’existant. Il doit s’interroger sur sa vocation, l’évolution de ses collections, son rôle dans la cité, sa place sur la scène locale, nationale ou internationale», écrivait déjà Marie-Hélène Joly il y a treize ans1>La Lettre de l’OCIM (revue professionnelle du monde muséal) n°124, juillet-août 2009.: «Pour un équipement culturel, il ne suffit plus d’exister, il faut pouvoir justifier d’une action cohérente et efficace.»

Ces questions, on veut pouvoir les poser à propos du MAH, et même tenter d’y répondre, en particulier à celles-ci2>La Lettre de l’OCIM (revue professionnelle du monde muséal) n°124, juillet-août 2009.: «Quel est le sens du musée dans un environnement précis à un moment précis (…)? Quel est son rôle dans la cité? Quel mandat lui a donné sa tutelle et quel bénéfice en terme d’image lui procure-t-il? Que représente-t-il pour ses publics et que leur apporte-t-il? Quelle relecture des collections faudrait-il opérer pour les rendre accessibles au plus grand nombre et par quels moyens? En intervenant lourdement (sur le bâtiment, sur la muséographie) ou légèrement (à travers les activités)? Quel rayonnement vise-t-on, au plan local, national, voire international?»

Qu’on se le dise: accepter d’étudier un projet (c’est ce que permet un crédit d’étude…), et d’en débattre, ce n’est pas accepter ce projet, c’est se donner les moyens de l’évaluer, de le modifier, voire de le refuser – mais en toute connaissance de cause. Le plus navrant, c’est bien qu’il faille encore le rappeler, parce que, finalement, c’est rappeler en quoi consiste le travail pour lequel les zélus et les zélues ont été zélu·es.

Notes[+]

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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