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Fêtes, tensions rythmiques et gueule de bois

Vivre sa ville

Les fêtes de fin d’année sont l’occasion de retrouver des rythmes collectifs qui permettent aux familles, aux parents et autres ami·es éloigné·es de se retrouver pour savourer ensemble des moments de convivialités. Cette synchronisation retrouvée est chère aux sociologues dans la mesure où elle permet de produire du commun à partir de rites et de rythmes partagés. Ainsi, nous proposons de dédier a posteriori cette chronique aux fêtes de fin d’année, en prenant un peu de distance vis-à-vis de cette période et en mettant en perspective une certaine idée de la violence imposée par les fêtes de fin d’année. Nous montrerons que la gueule de bois post-fêtes ne touche pas uniquement les personnes ayant un peu trop forcé sur la boisson. Car les différentiels de rythmes limitent l’accès à la fête, en raison de situation de solitude ou au contraire de saturation d’expériences familiales ou collectives.

Les fêtes de fin d’année sont particulières dans la mesure où, en seulement dix jours, se déploient des rythmes effrénés qui alternent entre fêtes, achats de dernière minute et loisirs en tout genre. Bien que cette période soit marquée par une forte effervescence, elle met également en lumière des formes de précarités certes économiques, mais également rythmiques, qui sont susceptibles de générer d’importantes souffrances émotionnelles et des sentiments d’exclusion. Les analyses et les discussions qui traitent de la question des rythmes de vie mettent le plus souvent l’accent sur l’épuisement, le surmenage et le burn-out. De son côté, l’ennui, qui est le plus souvent lié à l’isolement, reste au mieux largement inexploré et au pire renvoyé au fait de personnes oisives, fainéantes ou du moins peu portées sur l’effort. Cet oubli, voire dévalorisation, de l’ennui découle du culte de la performance et de l’activation caractéristiques de nos sociétés contemporaines. L’oisiveté doit désormais être proscrite et les agendas bien remplis pour qui prétend à vivre une vie épanouie.

Il est pourtant évident que l’ennui n’est pas nécessairement choisi, dans la mesure où celui-ci renvoie à certaines réalités sociales propres aux sociétés contemporaines comme le célibat, le veuvage, l’isolement social et économique. L’arythmie, à savoir le sentiment de se sentir exclu des rythmes collectifs en période de fêtes, est donc susceptible de toucher les personnes les plus vulnérables d’un point de vue à la fois économique et social. Ainsi, il est aisé de songer aux personnes âgées veuves et dont les enfants sont éloignés. Evoquons également les personnes en situation de migration, choisie ou non, qui se trouvent à des milliers de kilomètres de leurs foyers. Discutons enfin des situations familiales extrêmes subies par des milliers d’enfants placés, orphelins ou en foyers. Ces contextes sociaux mettent en lumière des formes d’exclusion vis-à-vis des fêtes de fin d’année qui s’expriment à travers l’ennui et la solitude. Ainsi, l’accès aux rythmes communs des fêtes est régulé, limité et contrarié par les manques en matière d’entourage et de finance pour prendre pleinement part à la fête.

Nous avons rapidement parlé des exclu·es, mais qu’en est-il des inclus·es? Comme nous l’avons évoqué plus haut, les fêtes de fin d’année sont le théâtre d’un rythme effréné. Ainsi, même les personnes qui ne souffrent pas de solitude ou de précarité économique sont susceptibles de souffrir de l’effervescence de la période des fêtes. A titre d’exemple, les familles avec des enfants déjà soumis au cours de l’année à des tempos très intenses doivent faire face à de nombreuses injonctions propres aux fêtes de fin d’année, courses aux cadeaux, enchaînement des repas et accueil de la famille élargie ou recomposée. Cette période de l’année serait donc propice à renforcer certaines inégalités face aux rythmes de vie déjà prégnantes en dehors des fêtes. Il est aisé ici d’évoquer les inégalités de genre, en particulier dans l’attention portée aux enfants, à la mise en place des préparatifs ou encore la prise en charge émotionnelle.

Si les fêtes de fin d’année sont sans conteste une période de réjouissance, elles peuvent également générer d’importantes souffrances. Ainsi, nous sommes en mesure de nous demander si les fêtes de fin d’année ne nous séparent plus qu’elles nous unissent. «Love will tear us apart» [l’amour nous séparera] comme chantait Joy Division?…

* Sociologue, LaSUR, EPFL.

Opinions Chroniques Guillaume Drevon

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mardi 19 juillet 2022

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