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Nataliya Kontsur, elle et l’Ukraine

Portrait

Rencontre avec une femme ukrainienne, qui entre guerre et exil, fourmille de projets.

Un bref instant, on a oublié la raison pour laquelle nous avions rendez-vous avec Nataliya sur cette étrange place vide, qui fait face au palais de Beaulieu, sur les hauteurs de Lausanne. On s’attendait à rencontrer une femme dévastée par l’exil. Nataliya est d’une aménité presque enjouée. Elle s’exprime dans un français quasi parfait, réminiscence d’une année passée à la Sorbonne à Paris au début des années 2000. Autour d’un café, elle parle à bâtons rompus de ses nombreux projets ici en Suisse.

Nataliya Kontsur, elle et l’Ukraine
«Ne pas se laisser gagner par le chagrin», le leitmotiv de Nataliya. Olivier Vogelsang

Puis, les grands desseins laissent place à un masque de tristesse. Il faut bien se rappeler pourquoi elle est arrivée en Valais le 14 mars dernier. Parler de la guerre en Ukraine. Raconter un pays dévasté. Evoquer, la gorge nouée, la route de l’exil. Ses fins de phrases sont souvent ponctuées d’un sourire discret, posé là comme pour désamorcer la mélancolie de ses propos.

Originaire de Zaporija, tout à l’est du pays au trident d’or, elle y habitait encore en début d’année, naviguant entre la ville de son enfance et Dnipro, quatrième ville d’Ukraine, un peu plus au nord. Elle avait débuté une honorable carrière de pianiste professionnelle et terminé des études d’histoire de l’art. Avant de bifurquer. Comme éditrice et directrice d’une agence de communication et d’évènementiel, ses affaires étaient florissantes.

Puis cette satanée guerre qui a éclaté le 24 février. Stupeur et tremblements dans tout le pays. Faut-il rester ou partir? Subir, résister ou se mettre à l’abri? Comme plus de deux millions d’Ukrainiennes, Nataliya décide finalement de prendre la route avec ses deux enfants, une fille de 15 ans et un garçon de 8 ans. Et quelques affaires jetées hâtivement sur la banquette arrière. Une folle aventure, avec l’idée de rejoindre la frontière hongroise, à l’exact opposé. Près de 1200 kilomètres d’un périple insensé, sur des routes éventrées par les bombes déversées par l’envahisseur. Avec l’angoisse permanente de se trouver face aux soudards de l’armée russe. Et celle, plus terre à terre, de manquer d’essence.

Sur le chemin, la famille passera quatre nuits dans des lieux aussi improbables qu’une école de musique ou un campus universitaire. «Ce qui m’a beaucoup touchée, c’est la gentillesse, la solidarité de compatriotes qui nous aidaient comme ils pouvaient», raconte t-elle. Avec une certitude tenace. «C’était difficile de réfléchir de manière rationnelle, mais je savais que je devais quitter mon pays.»

Direction la Suisse, le Valais et plus exactement Leukerbad où une cousine, médecin, travaille dans une clinique. Son directeur met a disposition un appartement pour elle et ses enfants. «J’ai beaucoup pleuré lorsque je suis arrivée, relate Natalyia. De tristesse, mais aussi parce que j’étais très touchée par l’accueil et la gentillesse des Valaisans.»

«C’était difficile de réfléchir de manière rationnelle, mais je savais que je devais quitter mon pays» Nataliya

Très vite, l’abattement laisse place à une furieuse envie de surmonter ce cataclysme. Avec un leitmotiv; ne pas se laisser gagner par le chagrin. Car Nataliya se veut roc dans la tempête pour ses deux enfants. Début avril, ceux-ci reprennent leur scolarité. Une intégration, en allemand, plus que réussie selon leur mère. «Je suis très fière d’eux. Ils se sont très bien acclimatés.»

Nataliya déborde d’activités. Chroniqueuse pour le Walliser Botte, le journal haut-valaisan, la jeune femme travaille également plusieurs fois par semaine à l’école de Leukerbad pour encadrer les enfants entre midi et deux, et collabore à la mise sur pied d’un site internet en cinq langues sur l’Ukraine. Entre autres. «Je ne reçois plus d’aide financière depuis l’été, explique t-elle avec une pointe de fierté. Je pense que l’intégration, ça passe aussi par le fait de payer des impôts.»

Ce n’est pas tout. Elle est également représentante pour le Valais de l’association des Ukrainien·nes de Suisse, et avec un ami musicien elle coprésente une émission hebdomadaire, en ukrainien, sur le média genevois Radio Cité.

Et son avenir, où le voit-elle? «C’est une question compliquée lorsque vous avez quitté votre pays malgré vous, explique Nataliya. J’ai beaucoup de chance d’être en Suisse. C’est ici que s’ouvre une nouvelle page de ma vie. Je l’espère.» MLE

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