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Reprise des discussions Suisse-UE: quelles sont nos tâches?

Le logement en question

Le Conseil fédéral a relancé des «discussions exploratoires» avec l’Union européenne (UE). Il y aurait des «progrès encourageants». Il y a lieu de se demander pour qui. Un sobre bilan indique que les objectifs poursuivis par la Commission européenne et le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) ne sont pas sociaux. Or la stricte reprise de principes fondamentaux de l’UE constitue une menace pour les conditions des salarié·es, le service public et les politiques du logement. L’UE repose essentiellement sur cinq principes économiques: liberté de circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux et la «libre concurrence»; ainsi que l’interdiction faite aux collectivités d’intervenir sur un marché (aides d’Etat).

L’UE n’a pas de compétence directe dans le domaine social. Le «socle européen des droits sociaux» proclamé en 2017 fait suite à la guerre sociale menée contre les salarié·es et les retraité·es, en particulier en Grèce. L’UE n’a pas pour autant changé de perspective, au contraire. Le débat parlementaire au Sénat français (2018) sur ces principes résume bien leur portée et les enjeux. Le sénateur de droite René Denasi déclarait: «L’UE est avant tout libérale, raison pour laquelle la convergence sociale peine autant. Elle favorise aussi la concurrence entre salariés, qui a pour corollaire les délocalisations. […] Elle accueille favorablement, en somme, la mondialisation, dont les effets ne sont bénéfiques que pour les populations aisées. Ne nous étonnons pas alors des succès du populisme en Europe!».

Ces propos reflètent la pensée de la droite française et européenne. Dans une approche progressiste et de solidarité de classe, la libre circulation des personnes est un droit qui doit se conjuguer étroitement avec des droits syndicaux effectifs et une vraie sécurité sociale, afin de faire obstacle à l’utilisation de la libre circulation par les forces qui dominent le dit «marché du travail», une utilisation libérée aboutissant à un dumping social et salarial pour les migrant·es et les salarié·es du pays d’accueil.

En Suisse, le contrôle des permis de travail cachait la faiblesse du mouvement syndical. Son abolition sans renforcement du droit du travail l’a révélée au grand jour. En janvier il y dix ans, étaient licencié·es les grévistes de l’Hôpital de la Providence (NE). Cet exemple illustre le problème. Comment protéger les salarié·es contre la sous-enchère si le patron peut librement résilier et péjorer une Convention collective (CCT) de secteur valable pour tout un canton, et licencier «librement» celles et ceux qui réclament son maintien? Quant au honteux statut suisse du saisonnier d’hier, l’UE ne nous en protège en rien. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin propose aujourd’hui en France un statut semblable.

Il faut donc organiser une mobilisation sociale en faveur d’une réelle protection des salarié·es, en revendiquant dans l’immédiat l’instauration de salaires minimaux à l’échelle fédérale et cantonale, une véritable protection contre les licenciements, la réduction du temps de travail et la protection de celles et ceux qui s’engagent dans les entreprises (délégué·es syndicaux/ales).
En parallèle, il faut répondre aux besoins de la population, par exemple en matière de soins, d’accueil extrafamilial des enfants ou de logement. Les mesures protégeant les locataires comme la limitation des prix des terrains, le contrôle des loyers et des prix de vente (PPE) –  à Genève ces droits sont dans la Loi générale sur les zones de développement (LGZD) ou la Loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (LDTR); dans le canton de Vaud, la Loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL) – doivent pouvoir être renforcées.

Les milieux immobiliers s’inspireront des attaques menées par exemple par leurs homologues néerlandais, qui ont utilisé le droit de la concurrence de l’UE contre la politique nationale du logement1>B. Daniel, «Le procès européen fait au logement social», Actes de la recherche en sciences sociales 2018/1-2 (No 221-222), p. 65ss.. L’UE cherche à limiter l’action publique en matière de logement, pour que les Etats se cantonnent aux besoins des plus démuni·es en renonçant à une politique générale de lutte contre la spéculation. Pour rappel, le droit de l’UE prohibe toute intervention de l’Etat sur un marché, sauf dérogation (art. 107 TFU).

Il s’agit de poser des jalons pour qu’une éventuelle «intégration de la Suisse à l’UE» soit adossée à de vrais droits sociaux et syndicaux et préserve la possibilité de développer le service public, notamment dans le domaine du logement et de la santé. Il est aussi fondamental de garder le droit de référendum contre des projets de libéralisation. Ce droit démocratique a fait obstacle à celle du marché de l’électricité en 2002.

Notes[+]

Christian Dandrès est conseiller national et juriste à l’Asloca. Il s’exprime à titre personnel dans cette chronique.

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mercredi 20 octobre 2021

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