Édito

Faim: Ukraine et Covid ont bon dos

Faim: Ukraine et Covid ont bon dos
Manifestation contre la faim, lundi 17 octobre à Bruxelles, à l'occasion de la Journée internationale pour l'éradication de la pauvreté. KEYSTONE
Alimentation

Dimanche, malgré le beau temps, la Journée mondiale de l’alimentation donnait davantage de raisons de se mettre en colère que d’apprêter un barbecue, même vegan. La faim dans le monde a augmenté: pas moins de 828 millions de personnes en ont souffert en 2021, 150 millions de plus qu’en 2019, indiquent les Nations unies. Le tableau est encore plus dramatique en réalité: c’est près d’un tiers de l’humanité – soit 2,3 milliards de personnes – qui se trouve en situation d’insécurité alimentaire modérée ou sévère.

Les progrès constants réalisés depuis l’an 2000 se sont arrêtés en 2015, puis la situation s’est dégradée à partir de 2019. La semaine dernière, Helvetas interpellait, à raison, la Confédération à agir en lui demandant de verser 100 millions de francs au Programme alimentaire mondial (PAM) pour faire face à l’urgence. Au niveau européen, l’ONG suisse participe à la coalition Alliance 2015 qui mène le lobby contre la faim au niveau continental. Ces organisations mettent en avant la recrudescence des guerres, principalement celle de l’Ukraine, le changement climatique et le Covid-19 pour expliquer la régression actuelle.

Mais en rester là serait limité. Il convient d’abord de rappeler que l’extrême vulnérabilité des systèmes alimentaires a été construite par le développement de l’agro-business d’exportation à des fins lucratives et la libéralisation mondiale de l’agriculture. Ces réformes ont été obtenues au forceps dès les années 1980 avec la crise de la dette de pays du Sud, puis dès les années 1990 par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sous la pression des grandes puissances du Nord.

Dépendre du blé industriel ukrainien pour nourrir une population dont la base alimentaire est le maïs, le riz ou le mil n’est pas un phénomène naturel mais résulte de choix politiques délétères qui ont détruit les sécurités alimentaires existantes. Le mouvement Via Campesina rappelle que ce sont en majorité des paysans qui souffrent de malnutrition et que seules des mesures favorisant leur souveraineté agricole peuvent y remédier, d’autant que ce sont eux qui produisent 70% de la nourriture.

Accuser le Covid-19 pour expliquer la faim n’est pas foncièrement inexact non plus mais relève de la même myopie: depuis 2019, alors que 200 millions de personnes supplémentaires avaient le ventre vide, les dix hommes les plus riches de la planète ont vu leur fortune plus que doubler, passant de 700 milliards à 1500 milliards de dollars. Or, il suffirait selon l’ONU d’un investissement de 267 milliards de dollars par an pendant les quinze prochaines années, pour en finir avec la malnutrition dans le monde. Ce sont bien les politiques économiques et fiscales mises en place par nos gouvernements – sous la pression des multinationales, banques et fonds de pension – et les inégalités monstrueuses en résultant qui sont responsables de la situation actuelle.

Pourtant, le monde est ainsi fait qu’il parait plus réaliste de laisser près d’un milliard de personnes mourir d’inanition que de redistribuer les richesses et de remettre en cause le capitalisme. Doux rêveur pour l’heure encore celui qui écrira les paroles suivantes: avec les quelque 5000 milliards détenus par les milliardaires aujourd’hui, le rêve de l’ONU est à portée de main. Qui a besoin de 1000 ou 50’000 millions de dollars pour vivre? Trois bols de riz par jour devraient leur suffire.

Opinions Édito Christophe Koessler Alimentation

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