Chroniques

L’avenir Suisse-UE au prisme du passé

À livre ouvert

Luzi Bernet, ancien rédacteur en chef de la NZZ am Sonntag, publie un petit livre 1>Luzi Bernet, Das Schweiz-Dilemma. 30 Jahre Europapolitik, Zurich: Hier und Jetzt, 2022. sur les rapports entre la Suisse et l’Union européenne (UE). L’ouvrage se veut accessible, et il reproduit une dizaine de caricatures de Chapatte – le crayon suisse sans doute le plus connu au monde après ceux de Caran d’Ache. Sous le titre Das Schweiz-Dilemma, Luzi Bernet essaie de montrer la difficulté que la Suisse a à se positionner vis-à-vis de l’UE – mais que veut-elle, au fond?

La question est en suspens depuis la décision du Conseil fédéral d’abruptement – et sans consultation du parlement – interrompre les négociations sur l’Accord-cadre institutionnel (InstA) le 26 mai 2021. Le texte, fruit de longues années de négociations, visait à harmoniser le droit européen et le droit helvétique avec, d’une part, la reprise dynamique du droit européen en Suisse et, d’autre part, la constitution d’un tribunal arbitral pour trancher en cas de litige. L’InstA avait plusieurs avantages, dont celui de correspondre aux demandes de la Confédération comme de l’UE. D’où l’incompréhension l’an dernier, et le livre de Luzi Bernet.

Luzi Bernet fait débuter son récit dans les années 1990, notamment avec le «dimanche noir» du 6 décembre 1992 où une courte majorité de l’électorat helvétique rejette l’entrée de la Suisse au sein de l’Espace économique européen. Peu surprenant qu’il y voie un point de départ: il s’agit des premières années de sa carrière de journaliste. Il s’intéresse ensuite à certains aspects des accords bilatéraux, puis conclut par un long chapitre sur l’InstA. Das Schweiz-Dilemma traite donc essentiellement des aspects institutionnels, ce qui est sans doute la manière la plus simple de rendre compte de cette histoire compliquée – mais il n’est pas sûr que ce soit l’approche la plus pertinente, ni la plus intéressante.

Luzi Bernet s’empare d’un sujet fascinant, mais le soin qu’il met à éviter de prendre position rend son exposition peu convaincante. Les intrigues autour de son renvoi du poste de rédacteur en chef – c’est un modérateur de télévision, passé par la presse de boulevard, qui a été nommé à sa place malgré les protestations des journalistes, et Luzi Bernet est maintenant correspondant à Rome pour la NZZ – expliquent peut-être sa relative prudence. En effet, bien qu’il touche à certains sujets brûlants – le secret bancaire, la fiscalité, le droit du travail –, Luzi Bernet se garde bien de trancher sur les grandes questions. Les syndicats et le Parti socialiste ont-il torpillé les négociations ou le Conseil fédéral a-t-il abandonné le mandat qui était le sien? «Quoi qu’il en soit, c’est cette dernière perspective qui domine dans les milieux de la gauche fédérale», répond-il.

Le récit que propose Das Schweiz-Dilemma est tout entier dirigé vers l’échec de 2021, mais il ne l’explique pas. Quelle est la nature des rapports entre la Suisse et l’UE? Pourquoi les partis gouvernementaux sont-ils rongés par l’angoisse de perdre en référendum contre la droite radicale, alors que l’électorat a voté à répétition en faveur d’un rapprochement avec l’UE? D’autres auteurs – on pensera par exemple au politologue genevois René Schwok – ont proposé des analyses plus convaincantes de cette décision surprenante du Conseil fédéral.

Notes[+]

* Historien.

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lundi 8 janvier 2018

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