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Obésité au Mexique: le jeu trouble du Seco

À votre santé!

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) alerte depuis longtemps sur les problèmes de santé liés à l’obésité, affirmant par exemple, dans un rapport de 2007, que «l’excès de poids corporel constitue un des plus graves défis de santé publique du XXIe siècle», y compris en Europe1>OMS, «Le défi de l’obésité dans la région européenne de l’OMS et les stratégies de lutte», 2007., entre autres pour les risques importants de diabète, d’infarctus ou encore d’hypertension. En 2014, les Etats membres de l’Organisation panaméricaine de santé (OPS, office régional de l’OMS) lancent à l’unanimité un plan quinquennal d’action pour la prévention de l’obésité chez les enfants et les jeunes. Avec notamment pour objectif de développer et mettre en œuvre des normes pour un étiquetage sur la face avant des emballages, afin de promouvoir des choix alimentaires sains en permettant une «identification rapide et simple des produits riches en énergie et pauvres en substances nutritives». C’est le Chili qui, le premier, adopte une loi contraignante, après une lutte judiciaire menée par différentes multinationales de l’agroalimentaire, dont Nestlé.

Déjà alors, le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) helvétique avait cherché à défendre dans différents forums internationaux une version volontaire et non contraignante de l’étiquetage des produits telle que nous la connaissons en Suisse depuis peu, à savoir le Nutriscore, où c’est le produit consommé selon une recette du vendeur qui fait foi: ainsi le Nesquik réussit à avoir une note acceptable parce qu’il est bu avec du lait! Le Seco voulait empêcher les Etats de prendre des mesures plus sévères que des accords internationaux en la matière connus sous le nom de Codex, une attitude que l’OPS a toujours combattue.

Comme le révèle l’ONG Public Eye2>Public Eye, «Comment Nestlé fait danser le Seco», juillet 2022, https://stories.publiceye.ch/nestle-mexique/, le Mexique a décidé en 2019 de lutter contre le fléau de l’obésité, entre autres par un étiquetage de mise en garde sur les aliments malsains. Selon une enquête nationale3>Secretaría de Salud de México, «Encuesta nacional sobre nutrición y Covid 2020»., 38 % des enfants de 5 à 11 ans se trouvent en situation de surpoids ou d’obésité. Parmi les 20 ans et plus, ce chiffre s’élève à 74% et un tiers des adultes sont obèses. Le Mexique figure ainsi à la deuxième place, après les Etats-Unis, dans le classement des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) les plus touchés par le surpoids et l’obésité – dans ma chronique de février 2021, je faisais part du record mondial du Mexique en termes de diabète, en particulier au Chiapas.4>«Sucre et santé : une relation compliquée», Le Courrier du 5 février 2021.

Le Mexique avait bien exigé jusque-là des fabricants de mentionner – comme chez nous – la composition des produits sur les emballages, sans pouvoir pour autant infléchir la courbe de l’obésité. Il faut dire que, selon une étude de l’époque, seuls quelque 20% des acheteur·euses lisaient ces indications au moment de se servir dans les étalages. Alors qu’une étude chilienne montrait non seulement un changement des habitudes d’achat, mais également une modification de la composition des produits en lien avec la présence d’un étiquetage de mise en garde nutritionnelle: les fabricants voulaient conserver «leur marché»5>Universidad de Chile, «A tres años de ley de equidad: cambio en la composición de productos y los hábitos de compra», 25 de junio 2019.!

Malgré tout et une fois de plus, le Seco a appuyé entre autres Nestlé dans son entêtement à s’opposer à un étiquetage de mise en garde contre les produits contenant trop de sucre, de sel ou de graisse: il faut dire qu’il s’agit d’un marché à 1 milliard. Avec d’autres pays, le Seco intervient – comme il l’avait fait pour le Chili d’ailleurs – au comité qui analyse si «l’accord sur les obstacles techniques au commerce» (OTC) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est respecté, considérant que la limitation de la publicité et l’étiquetage des produits proposé au Mexique est une entrave inacceptable au commerce! «L’Accord OTC encourage [certes] fortement les Membres à établir leurs mesures sur la base de normes internationales afin de faciliter le commerce. Il reconnaît [néanmoins] aux Membres le droit de mettre en œuvre des mesures permettant d’atteindre leurs objectifs légitimes de politique générale, comme la protection de la santé et de la sécurité des personnes ou la protection de l’environnement», selon le site de l’OMC.

Le Seco, qui représente nos autorités fédérales dans ces forums, choisit le soutien indéfectible aux multinationales contre une mesure de santé publique soutenue par l’OMS-OPS. L’économie prime… cela n’est d’aucun soutien aux PME suisses ni ne bénéficie à la population suisse. Et on se plaint que les soins sont trop coûteux. N’est-ce pas indécent?

Mais le Mexique a tenu bon! Bravo.

PS: Kellogg’s vient de perdre en appel en Grande-Bretagne dans une affaire similaire6>Dépêche ATS du 4 juillet 2022.… Le vent tourne-t-il?

Notes[+]

Bernard Borel est pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle.

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lundi 8 janvier 2018

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