Chroniques

«On ne naît pas femme, on en meurt»

Polyphonie autour de l'égalité

Ce slogan vu à la manifestation lausannoise du 14 juin dernier fait référence aux violences faites aux femmes par l’ordre patriarcal. On pense à la violence dans le couple bien sûr, aux viols comme armes de guerre, aux viols commis en «temps de paix», mais comment ne pas également penser aux effets collatéraux d’une interdiction d’avorter, entre atteintes à la santé mentale, physique et périls pour la vie lors de recours à des avortements clandestins.

Il est ainsi des jours comme ce 24 juin, où on ne trouve plus les mots, où on oscille entre colère et tristesse, entre envie de laisser tomber ou de tout faire péter. Ce 24 juin pluvieux, à 16h26 tombe la nouvelle que la Cour suprême des Etats-Unis vient de révoquer l’arrêt Roe vs Wade. C’est un coup d’assommoir et, pour les Suissesses, juste dix jours après l’enthousiasme et l’espoir suscité par des milliers de personnes descendues dans les rues au nom de l’égalité, pour le respect, la liberté de choisir nos vies, de disposer librement de nos corps. Bien sûr qu’on l’avait vu venir, mais on voulait croire que nous n’étions pas revenu·es aussi loin en arrière, qu’une once de bon sens allait encore changer le cours des choses, qu’un soubresaut humaniste aurait lieu. Cela n’a pas été le cas.

Alors, quand de telles décisions nous renvoient cinquante ans en arrière, il nous faut reprendre les façons de faire des féministes qui se sont battues avant nous. Le style d’Annie Cohen dans son texte de 1977 sur le viol s’est immédiatement rappelé à nous 1>«Dans quel état de guerre vivons-nous?», paru en 1977 dans le premier numéro de la revue contre-culturelle Alternatives.. En effet, ce qui vient de se passer est une déclaration de guerre, franche et ouverte, sans détour. La décision de la Cour suprême témoigne d’un mépris et d’une haine inouïe des femmes, dont les choix, la voix, la vie ne comptent pas.

A quel niveau de haine vivons-nous pour n’avoir pas le droit de décider, de choisir, de donner notre avis, pour que ce qui se passe dans nos corps ne nous appartiennent pas? A quel niveau de haine vivons-nous pour être ainsi méprisées, bâillonnées, infantilisées? A quel niveau de haine vivons-nous pour que nos vies ne comptent pour rien, pour que les risques encourus pour notre santé psychique ne soient pas pris en considération? A quel niveau de haine vivons-nous pour que dans le «droit à la vie», le droit à notre vie ne soit jamais envisagé? A quel niveau de haine vivons-nous pour que l’on nous condamne sans ciller à porter le fruit de viols, d’incestes, d’abus; pour que l’on nous enferme dans un rôle de reproductrice, respectée uniquement pendant qu’elle fait son office? A quel niveau de haine vivons-nous pour que nos corps, nos sexes, nos vulves, nos utérus leur appartiennent à eux, ceux qui décident de nos choix, de nos vies et qui se contre-fichent de savoir si l’on va bien ou si l’on en crève? A quel niveau de haine vivons-nous pour que l’on nous rappelle sans cesse que le droit de jouir n’existe qu’au masculin, et qu’au XXIe siècle à nouveau, nous pourrions être poursuivies pour avoir voulu aimer sans entraves, être libres?

Pour conclure, reprenons les propos d’Annie Cohen: «La guerre existe et nous ne l’avons pas déclarée. A nous maintenant de nous défendre et d’y répondre.» Les réactionnaires, fondamentalistes chrétiens en grande majorité, n’ont pas attendu, des manifestations anti-avortement ont déjà eu lieu en France en janvier, et plus récemment en Espagne pour saluer la décision de la cour américaine. Ne les laissons pas prendre exemple sur cette dernière, ne laissons pas tomber celles qui désormais vont à nouveau devoir avoir peur, se cacher, traverser des frontières, mettre leur vie en péril. Heureusement, depuis quelques jours les initiatives de résistance et de solidarité se dressent un peu partout dans le monde, mais la guerre est déclarée et il va falloir se battre!

Notes[+]

Miso et Maso, investigatrices en études genre.

Opinions Chroniques Miso et Maso

Chronique liée

Connexion