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Hommage à Souhail Mouhanna

Lors de la cérémonie d’adieux, Rémy Pagani* a rendu un vibrant hommage au syndicaliste et politicien décédé le 25 mars dernier.
Hommage

Souhail nous a quitté en plein combat contre la mort. Son dernier combat il l’a mené avec détermination et dignité comme il a mené tous les autres. Il appartient aujourd’hui à sa famille et à ses amis de lui rendre hommage.

Déjà en 1968 il était leader des étudiants syriens à Paris, il n’avait pas voulu rejoindre le stade Charléty avec tous ses compatriotes. En cause la présence de Pierre Mendès France donnant l’impression de vouloir récupérer le mouvement de rue. Ce fut pourtant un moment historique et culminant de ce qui restera la plus grande grève générale de la France de l’après-guerre. Elle bloqua l’ensemble des rouages économiques et politiques de la nation. Il redoutait le piège politique qui allait se refermer sur la classe ouvrière. Il avait déjà compris que ceux qui produisent plus qu’ils ne consomment, les salariés, devaient être défendus à tout prix. Puis, il fit ses premières armes en suisse comme professeur de mathématiques.

C’est d’abord comme enseignant à l’Ecole d’ingénieurs qu’il organisa, avec d’autres, la défense des conditions de travail de ses collègues et le cursus scolaire des étudiants dont il avait la charge. Il lança une initiative pour s’opposer à la création du réseau des HES (Hautes écoles spécialisées) voulue en 1996 par le Conseil fédéral et soutenu par le Conseil d’Etat. Ce texte fut refusé par le corps électoral genevois à la faveur d’un contre-projet. On subit encore aujourd’hui les contrecoups de cette défaite par l’absence d’une direction démocratique dans cette structure fédérale.

Il fut nommé président du Cartel intersyndical de la fonction publique à la suite de notre camarade et ami Jean-Pierre Fioux. Entre 1996 et 1998 à la tête de cette faîtière il donna du fil à retordre aux dirigeants d’alors. Il se refusait de voir disparaitre des filières de formation, de subir les attaques aux statuts des fonctionnaires et plus généralement au statut même de la fonction publique. Par bonheur les syndicats patronaux, et son fer de lance le Conseil d’Etat n’ont pas réussi à imposer ces réformes.

Souhail était un obstiné. Combien faut-il de courage, de détermination et d’obstination pour ne pas céder face au rouleau compresseur de l’Etat-employeur et ses stratégies néolibérales ? Des historiens objectifs analyseront peut-être cette période et concluront que si nous avons encore et heureusement aujourd’hui à Genève, un statut de la fonction publique avec une grille salariale enviable et une réelle protection des salariées et des salariés, la contribution de Souhail a été décisive. Contrairement à la presque totalité des cantons suisses où ce statut a disparu.

Par ailleurs il siégera aussi durant quelques années au Conseil municipal de la Ville de Genève. Il fut nommé par ce conseil à la FONDETEC (fondation pour le développement des emplois et du tissu économique en Ville de Genève). Il fit partie de son Conseil d’administration et, encore une fois, il ne put se résoudre à tolérer les petits arrangements entre copains qui avaient cours dans cette institution. Il en dénonça les dysfonctionnements ce qui lui valut une plainte pénale. Comme à l’habitude, les magistrats juges ne lui firent pas de cadeau. Lorsqu’on attaquait Souhail, c’est là où il devenait le plus brillant et le ministère public en fut pour ses frais. Les charges contre lui furent abandonnées.

Puis il rejoignit nos rangs comme député au Parlement cantonal entre 2001 et 2005 sur nos bancs à l’Alliance de gauche. Là encore il fit des étincelles. N’hésitant pas à stigmatiser les député-e-s de droite et leur théorie fondée non pas sur un raisonnement étayé et argumenté, mais sur la doxa néolibérale qui le révulsait. Il avait bien compris que la charge d’un syndicaliste comme celle d’un député de l’opposition est, tel Sisyphe, de monter la pierre en haut de la montagne et de la voir redescendre souvent. Cependant il ne perdait jamais de vue qu’elle pouvait rouler encore plus bas si personne n’avait le courage de déployer des efforts, de la sueur et parfois du sang pour la remonter toujours et encore.

Entre 2008 et 2011, il fut aussi membre de la Constituante chargée de réécrire la charte fondamentale du canton. Cette fois-ci il siégea sur les bancs de l’Avivo, qu’il présida. Une fois encore, son originalité et ses stratégies politiques aux côtés de plusieurs membres de cette organisation de défenses des plus faibles firent des merveilles. Son humanisme, ses préoccupations pour tous sans distinction, sa volonté d’imposer le progrès social empêchèrent que le pire soit inscrit dans la constitution de notre république.

Quelques années plus tard alors même que son corps était affaibli et lui imposait de ralentir, il resta membre de notre organisation politique et ne manqua pas de faire valoir son point de vue sans retenue. Il était pour l’unité et contre les divisions qui minent les projets politiques progressistes et étouffent des stratégies libératrices dans des périodes révolutionnaires. Il savait pour l’avoir constaté dans son pays d’origine, la Syrie, que les divisions politiques y compris parmi les forces progressistes et humanistes peuvent aussi déchirer et nier des êtres humains différents et libres.

Souhail, tu laisseras un grand vide. D’abord pour ta famille, ta femme Martine, tes deux fils, tes compagnons de route, tes ami-e-s, et camarades. Ta vie a été celle d’un honnête homme, solidaire, aimant, fraternel. Nous ne t’oublierons pas. Ton combat, notre combat nous le poursuivrons sans relâche. Nos pensées s’envolent avec toi aux côtés des tiens.

* Rémy Pagani est député au Grand Conseil, ancien conseiller administratif de la Ville de Genève et ancien syndicaliste.

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