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Des pulls pour se dégager des hydrocarbures?

Le logement en question

Dès l’annonce d’une possible invasion de l’Ukraine, à la fin de 2021, les prix des hydrocarbures se sont envolés. Il s’agit en partie de spéculation, puisque des réserves de combustible ont été accumulées avant la guerre et que l’importation de pétrole et de gaz n’est pas empêchée. Ceci montre la dépendance énergétique aux hydrocarbures, partant aux régimes des pays où ceux-ci sont extraits. En consommant du pétrole russe ou saoudien, les consommateurs et les consommatrices sont contraint·es de financer les régimes de Poutine et des Saoud.

Il y a urgence à se dégager de cette source d’énergie, notamment pour le chauffage des bâtiments. Il en va de la solidarité internationale et de la lutte contre le réchauffement climatique. Le secteur du bâtiment représente 38% du total des émissions de CO2 liées à l’énergie (y incluse la construction)1>ONU, 2020 Global Status Report for Buildings and Construction: Towards a Zero-emission, Efficient and Resilient Buildings and Construction Sector, p. 19..

Mener une politique de décarbonation, c’est remettre en question les priorités du mode de production économique actuel. Il en va ainsi de l’immobilier qui est un des domaines de valorisation du capital. Les travaux d’assainissement des bâtiments obéissent d’abord à une logique de profit.

Résoudre la question de la pollution émise par le parc immobilier est avant tout un acte politique. Pour les bailleurs et leurs soutiens, la solution est simple: il faut des incitatifs à la rénovation. Selon eux, les travaux doivent justifier de se débarrasser des locataires de longue date et payant des loyers meilleur marché ainsi que de garantir des majorations de loyer. Les autorités fédérales à majorité de droite ont taillé un droit sur mesure pour répondre à ces intérêts.

En général, le ou la locataire n’a presque aucune marge de manœuvre dans le choix de son logement. Ce n’est pas lui qui décide de la qualité de l’immeuble, encore moins du système de chauffage. Le bailleur décide seul du combustible, auprès de qui il l’achète et à quel prix. Le ou la locataire peut juste solliciter la production des comptes. Pour le reste, elle ou il n’a qu’à payer. Maintenir un chauffage polluant, un immeuble non assaini et gaspiller de l’énergie ne sont pas des défauts de la chose louée qui donneraient au locataire le droit d’intervenir.

Ainsi, prétendre que pour résoudre le problème de la consommation énergétique des bâtiments il faut responsabiliser les locataires, c’est passer à côté de l’essentiel. Quel·le locataire préfèrera laisser la fenêtre de son appartement ouverte en hiver, s’il ou elle peut régler la température de son logement en utilisant le thermostat? Dans la même veine, certains prônent de réduire la température dans les logements comme solution à la crise climatique. On ne peut s’empêcher de penser que ces personnes cherchent surtout à échapper à la nécessité d’assainir leurs propres immeubles. La loi genevoise impose en effet de réaliser des travaux si la consommation dépasse un certain seuil. Pour rester en dessous de ce seuil, le bailleur peut soit faire des travaux, soit par exemple réduire la température des appartements.

Cette solution n’est pas celle préconisée par l’Asloca Genève, qui a lancé une initiative populaire cantonale. Elle propose de remettre en vigueur un instrument pour favoriser l’isolation des bâtiments, dans le respect des locataires et en visant au maintien d’un parc de logements à loyer abordable. Cette initiative supprime le mauvais système introduit en 2010 et qui consiste à déplafonner les loyers après travaux à concurrence de la baisse prévisible des charges. Comme l’Asloca l’avait prédit, les hausses sont réelles tandis que les locataires cherchent en vain la baisse de leurs charges.

Face aux enjeux climatiques et aux attentes de la population, il faut changer le système archaïque qui prévaut en matière de répercussion des coûts d’assainissement des immeubles et de répartition des frais de chauffage. Le bailleur a toutes les clefs en main. Il peut maintenir une chaudière hors d’usage et très polluante, et ce serait au ou à la locataire de se serrer la ceinture et de mettre des pulls pour sauver la planète! La responsabilité individuelle est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante ni même ne constitue l’élément le plus important pour résoudre cette équation politique. L’initiative de l’Asloca est un élément de réponse.2>Pour signer l’initiative «Pour une rénovation écologique protégeant les locataires», www.asloca.ch/geneve/initiative-cantonale-fonds-renovation/

Notes[+]

Christian Dandrès est conseiller national et juriste à l’Asloca. Il s’exprime ici à titre personnel.

Opinions Chroniques Christian Dandrès

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mercredi 20 octobre 2021

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