Chroniques

Iel et Joséphine font une entrée remarquée

Le mois de novembre aura été marqué en France par deux entrées au panthéon, l’une dans celui qui prend une majuscule et reconnaît les grandes figures de la nation, l’autre dans le temple de la langue française qui consacre chaque année de nouveaux mots. Ces deux entrées ont été largement médiatisées, et si la première, l’arrivée de Joséphine Baker parmi les «Immortel·les», a été largement saluée, la seconde, l’entrée du pronom «iel» dans Le Robert, a été plus fracassante, soulevant un large tollé.

L’entrée de «iel» dans la version en ligne du dictionnaire a suscité de nombreuses réactions hostiles – du ministre de l’Education, qui «soutient la dénonciation par un député de la majorité de l’entrée de ce mot adressée à l’Académie française», à nombre d’hommes et de femmes prêt·es à s’opposer à cette décision au nom de la langue française. Décidément, elle a bon dos «la» langue française.

Ces réactions ne sont pas sans rappeler celles suscitées par le mariage pour tous. A chaque élan vers moins de domination masculine, à chaque critique du socle patriarcal et hétérosexuel de notre organisation sociale, des personnes s’emploient à le freiner. Leurs arguments révèlent des fantasmes qui s’autoalimentent. Non, «iel» ne va pas remplacer «il» ou «elle». Non, la binarité ne va pas disparaître et la non-binarité ne va pas être enseignée dans les écoles de la République, pas plus que l’homosexualité dans les délires des tenant·es de la Manif pour tous. Le français est une langue particulièrement genrée. Les tentatives de la rendre plus égalitaire doivent donc être saluées, même si certaines pratiques et certains termes ne plaisent pas, même s’ils soulèvent des problèmes, comme l’accord des adjectifs… Thérèse Moreau avait proposé en son temps «ille», qui s’adossait davantage sur le pronom féminin, elle n’a pas été suivie dans la pratique. Tant pis, accueillons donc «iel».

Pendant ce temps, une autre entrée a été saluée de part et d’autre de l’échiquier politique. L’Elysée – car c’est au président de la République que revient la prérogative de proposer des personnes «méritant une reconnaissance nationale» – a ainsi célébré en grande pompe l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon. Alors que ce temple de la République conserve les restes de figures politiques, intellectuelles et, plus récemment, résistantes, voilà qu’une artiste possédant une double nationalité y accède. Joséphine Baker est la sixième femme à faire partie des «Immortel·les». Première femme noire à être intronisée dans le monument célébrant les grands hommes et grandes femmes de l’histoire française.

Surtout connue en tant qu’artiste de music-hall et danseuse de la Revue nègre créée en 1925, Joséphine Baker est surtout associée à une image assez rétrograde du féminin. Pourtant, elle a de multiples facettes, largement méconnues. Née aux Etats-Unis dans une famille afro-américaine pauvre au début du XXe siècle, elle grandit dans un pays dominé par la ségrégation raciale. Mais c’est en France, où elle décide de rester dès son arrivée au mitan des années 1920, qu’elle va connaître un parcours personnel et professionnel exceptionnels. Engagée contre le racisme aux Etats-Unis, contre l’antisémitisme, elle opte pour la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale tout en poursuivant les tournées artistiques. Elle sera décorée par l’armée française, participera à la marche pour les droits civiques de 1953 aux côtés de Martin Luther King. Porteuse d’un idéal humaniste et universaliste, femme affranchie des normes dominantes, cette artiste est une véritable figure féministe. Mariée à plusieurs reprises, elle va adopter douze enfants de nationalité et religions différentes, qu’elle appelle sa «tribu arc-en-ciel».

Ces deux entrées ne sont pas sans soulever certaines questions. Qu’est-ce qui préside au choix de faire inscrire dans un dictionnaire certaines pratiques plutôt que d’autres, ou d’accueillir quelqu’un·e au Panthéon? Les deux sont éminemment politiques. En effet, si l’entrée dans un dictionnaire rappelle que la langue évolue sans cesse, et aide à comprendre le monde dans lequel nous vivons, comment se fait-il que le pronom «iel» qu’on entend depuis relativement peu de temps ait fait une entrée si rapide, pendant que d’autres ont dû faire leur preuve dans la pratique pendant bien plus longtemps avant d’être adoubés? Faire entrer un mot controversé ne servirait-il pas les intérêts du dictionnaire, lui permettant de montrer son ancrage dans le débat contemporain et une posture plus progressiste que certains de ses concurrents?

Quant à l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon, qu’est-ce qui a déterminé ce choix? Ses prises de position politiques antiracistes? Le fait qu’elle reflète la diversité de la société française? Ou ses faits de résistante aux côtés de De Gaulle? Josephine Baker avait-elle besoin du Panthéon ou au contraire, a-t-elle permis de dépoussiérer la vieille institution, l’inscrivant dans les débats contemporains?

Miso et Maso sont investigatrices en études genre.

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