Retour d’Afrique
J’ai longuement hésité avant de participer à ce débat qui prend parfois des tournures surréalistes quant aux arguments avancés par les opposant·es au pass sanitaire. Leurs propos sont souvent une insulte aux connaissances historiques ou scientifiques, notamment quand ils ou elles parlent de «dictature sanitaire», font référence au port de l’étoile jaune ou prétendent qu’il existe un traitement pour la Covid.
Je ne tiens en aucun cas à les faire changer d’avis puisque leurs arguments sont basés sur des croyances qui rendent le dialogue impossible, puisque la question se résume à croire ou à ne pas croire à une théorie. Comme dans l’exemple religieux, l’un affirme: je crois en Dieu et son interlocuteur le contre par une autre affirmation: Dieu n’existe pas. Le débat est clos.
Je reviens d’une mission humanitaire au Cameroun et le choc fut immense quand je me suis mis à lire dans la presse ou à écouter sur les plateaux de télévision les arguments des opposant·es aux vaccins et à la loi Covid. J’ai ressenti un véritable choc de civilisation, ou de société, et je me suis fait la réflexion que nous ne vivions pas sur la même planète. Quand j’entends parler de dictature, de complot, de discrimination, ces mots ici ne font peser aucun risque sur les personnes qui les prononcent sans en connaître le sens vrai, alors que, dans beaucoup de pays africains et ailleurs, la réalité de ces mots vous mène au mieux en prison, au pire à la mort. Parler de dictature sanitaire, alors que même le personnel soignant n’est pas obligé de se faire vacciner… Dans certains pays, cette obligation existe sous peine de vous retirer votre droit de pratique.
Prétendre qu’il existe un traitement que les médecins refuseraient de prescrire (les fameuses potions du Pr Raoult) et que les vaccins sont le produit d’un vaste complot de l’industrie pharmaceutique sont des arguments fallacieux qui ont été utilisés en Suisse pour faire signer le référendum contre la loi Covid.
Il existe actuellement des traitements reconnus pour soulager les symptômes provoqués par le virus et pour diminuer les risques d’un transfert en réanimation, tels que les anti-inflammatoires de type corticostéroïde ou un traitement intraveineux d’anticorps monoclonaux pour les personnes vulnérables non vaccinées, mais il n’existe à ce jour aucun traitement contre la maladie. On parle éventuellement d’un traitement qui pourrait être disponible l’an prochain. De toutes façons, la meilleure façon de protéger le système de santé et de se prémunir contre la Covid reste actuellement la vaccination.
Certes, l’industrie pharmaceutique va tirer de gros bénéfices de cette crise sanitaire, ce qui évidemment est scandaleux, d’autant que les recherches qui ont abouti aux différents vaccins ont été largement financées par des fonds publics. Mais le grand scandale et la grande injustice se trouvent dans l’énorme disparité de l’accès aux vaccins pour les populations des pays à faible capacité économique. A ce titre, l’Organisation mondiale de la santé appelle à une meilleure répartition des doses de vaccin, afin de garantir l’accès à la vaccination aux populations à risque dans les pays les moins favorisés. Les brevets doivent être levés sans délais, pour que l’ensemble des pays puissent obtenir, voire produire des vaccins.
Au Cameroun, 1% de la population est vaccinée. J’ai parcouru sans succès toute la ville de Yaoundé pour trouver un vaccin pour notre chauffeur. Connaissez-vous la différence entre ce dernier et les anti-vaccins de notre riche pays? Le premier, s’il attrape la Covid, n’aura accès qu’à très peu de soins pour soulager ses symptômes et éventuellement le maintenir en vie, par manque de structures sanitaires et d’équipement ou de moyens financiers (les soins sont payants). Quant aux deuxièmes, s’ils ou elles sont infectés par le virus, (90% des personnes hospitalisées actuellement ne sont pas vaccinées), ils ou elles auront droit à tous les soins que leur état exige dans des hôpitaux modernes, prodigués par des soignant·es dévoué·es – ce que je trouve normal, car quand on soigne, on ne trie pas les patient·es selon leurs opinions ou leurs croyances. C’est ma conception des soins de santé basée sur l’éthique de l’universalité des soins et le non-jugement.
En revanche, j’attendrais un peu plus de retenue et d’humilité dans les propos des opposant·es à la loi Covid qui me paraissent parfois indécents à mon retour d’Afrique, devant la réalité d’une autre partie de l’humanité.
Nago Humbert est professeur agrégé de la faculté de médecine de Montréal, fondateur et référent soins palliatifs pédiatriques de Médecins du Monde Suisse.