La gauche, le budget, l’impôt, fable genevoise
C’est la rentrée. Le Cirque Knie est sur la Plaine, les tartes aux pruneaux dans les fours, les chtis n’enfants sur le chemin de l’école. Et les conseillères municipales et conseillers municipaux genevois·es vont recevoir leur cadeau de rentrée: le projet de budget du Conseil administratif. On ne s’attend pas au pire – le Conseil administratif est de gauche, quand même. On ne s’attend pas non plus au meilleur – même de gauche, le Conseil administratif reste corseté par un cadre légal cantonal que le canton prend bien garde de ne pas s’appliquer à lui-même. Bref, on s’attend à du médiocre. C’est reposant, le médiocre. Habituel, même. On s’en accommodera. Reste à bien clarifier les rôles des un·es et des autres.
En gardien des limites posées à l’élaboration d’un budget, l’exécutif municipal est dans son rôle. Et le conseiller administratif chargé des Finances, Alfonso Gomez, dans le sien. Mais leurs rôles ne sont pas ceux du Conseil municipal et des partis qui y sont représentés. Eux ont une ligne politique, des projets politiques, quelques principes, quelques «fondamentaux» à défendre et à respecter. Tenez, au hasard, ceux-ci, dont on a même fait une pétition:
– le maintien des subventions culturelles et sociales;
– le maintien des mécanismes salariaux des collaboratrices et collaborateurs de la Ville de Genève et de la petite enfance;
– l’absence de coupes budgétaires et le maintien des prestations municipales.
Tout cela, et ce qu’on y a ajouté et pourrait encore y ajouter (la réintégration dans la fonction publique des nettoyeur·euses des locaux et installations de la Ville, la réduction du temps de travail et des inégalités salariales, la gratuité des transports publics…) suppose des moyens. Et ça tombe bien, on a là une bonne, vieille, solide position de gauche: le financement par l’impôt direct des engagements sociaux, environnementaux, culturels des collectivités publiques.
Au Grand Conseil, la gauche genevoise propose de renforcer l’imposition directe et progressive sur les revenus. Au parlement fédéral, la gauche propose de renforcer l’imposition directe sur les hauts revenus, les grosses fortunes et les bénéfices des grosses entreprises. La gauche cantonale et la gauche fédérale soutiennent en ce sens l’initiative «99%» de la Jeunesse socialiste. En Ville, on devrait donc parler de l’impôt direct municipal, le «centime additionnel», un centime supplémentaire par franc d’impôt cantonal. Un centime qui va revenir à la commune et va lui permettre de financer ses engagements.
C’est un impôt progressif: plus on gagne, plus on paie. Et quand on est trop pauvre, on ne paie rien, parce qu’essayer de faire payer un impôt à ceux qui n’ont pas un rond coûte bien plus cher que ce que ça rapporte, puisque ça ne rapporte rien. Faut être logique, des fois, quand on cause fiscalité. Et qu’on a à répondre à la proclamation par la droite qu’il est scandaleux qu’un tiers des contribuables genevois ne paient pas d’impôt. D’autant que c’est complètement faux et complètement idiot: même quand on est pauvre, on paie un impôt, indirect: la TVA. Dont le taux, bête et obstiné, est le même pour le millionnaire et le miséreux.
La gauche tient, sur l’impôt direct (celui sur le revenu), et donc sur les budgets publics qu’il finance, un discours constant depuis, disons, un bon siècle – depuis la création, précisément, des premiers impôts directs modernes: il sert à la fois à financer des prestations publiques et à réduire les inégalités de ressources. Cette double fonction qu’on lui assigne, celle de financement et celle de redistribution, a pour corollaire que le niveau de l’impôt est déterminé par la réalité sociale: quand la population a besoin de prestations supplémentaires, ou d’un renforcement des prestations existantes – et nous sommes précisément dans une telle situation –, une augmentation de l’impôt direct se justifie par le besoin de financement supplémentaire. Et quand les inégalités sociales se renforcent – on y est aussi –, une augmentation de l’impôt se justifie par le besoin de réduire ces inégalités. Voter «oui» à l’initiative «99%», comme les socialistes, les Verts, Ensemble à gauche et les syndicats y invitent, et accepter, en nos temps de crise, d’augmenter un peu la pression fiscale directe, procède de la même démarche et de la même intention: réaffirmer les deux fonctions de l’impôt, celle qui finance les prestations à la population et celle qui réduit les inégalités sociales.
Une augmentation de l’impôt direct se justifie donc aujourd’hui, là où elle est concevable – et elle l’est en Ville de Genève. D’ailleurs, elle est constamment proposée par le Parti socialiste cantonal genevois et ses députés au Grand Conseil – avouez qu’il serait assez farce que le Parti socialiste municipal et ses élus au Conseil municipal n’osent pas en faire autant…
Cette hausse serait sans doute combattue par un référendum lancé par la droite – comme nous avions nous-mêmes combattu par référendums les modifications budgétaires imposées par la droite. Fort bien, ce serait donc aux habitant·es de choisir entre une – modeste – hausse de l’impôt communal et une baisse des prestations. Laisser les habitant·es de la Ville choisir entre une prudente hausse de l’impôt communal et une baisse des prestations, c’est une démarche claire, cohérente, dont on n’a pas à avoir peur. On pourra alors expliquer que l’impôt communal finance les crèches, les allocations de rentrée scolaire, les rabais sur les abonnements TPG, la rénovation des cinémas indépendants, la création d’entreprises de proximité, la construction de logements sociaux, la plantation d’arbres et la végétalisation de la ville, l’indemnisation des pertes de revenu provoquées par une pandémie. Et le peuple municipal, alors, décidera. Démocratique, non?