Une femme contre la bureaucratie policière
Disons-le d’entrée: Adieu les cons est un film jubilatoire, mené à un rythme d’enfer – ce qui est la marque de fabrique d’Albert Dupontel –, mais profondément d’actualité par son humour noir, son burlesque échevelé qui cache un vrai désespoir social.
Comme dans 9 mois ferme, c’est une femme qui mène la danse, et c’est ce qui donne à ces deux films de Dupontel leur épaisseur humaine, plus que dans les autres films du même auteur/réalisateur (Bernie, Le Créateur, Enfermés dehors, Le Vilain, Au revoir là-haut).
Suze Trappet (Virginie Efira) apprend qu’elle est atteinte d’une maladie professionnelle mortelle (coiffeuse, elle a trop inhalé la laque en spray qu’on met sur les cheveux pour «faire tenir» les coiffures), et décide de consacrer le temps qui lui reste à retrouver l’enfant qu’elle a eu à 15 ans, et que ses parents l’ont forcée à abandonner trente ans plus tôt. On comprend tout ça à travers des scènes muettes en accéléré dont le burlesque ne nous empêche pas d’être en empathie avec l’héroïne. Les effets visuels et sonores dont est truffé le film font partie de la jubilation qu’on éprouve à le voir.
En parallèle, nous assistons aux déboires d’un informaticien de génie qui gère la sécurité des bâtiments d’un ministère, mais se trouve remercié au profit de cadres plus jeunes qu’il doit former. Désespéré, il organise son suicide dans son bureau, mais la carabine qu’il a pointée sur lui dévie et blesse le fonctionnaire qui, dans le bureau d’à côté, explique à Suze qu’on ne peut pas retrouver son enfant né sous X parce que son dossier est trop ancien pour avoir été informatisé.
C’est le début d’une course contre la montre, et surtout contre l’appareil d’Etat, où Suze doit arriver à convaincre l’informaticien suicidaire de l’aider à retrouver ce dossier; ils sont bientôt rejoints par M. Blin (Nicolas Marié), le fonctionnaire, aveugle à la suite d’une bavure policière, qui a en charge les archives, littéralement enterré au sous-sol du bâtiment…
Les situations absurdes que vivent nos personnages renvoient à des maux très réels de notre société, l’informatisation généralisée, l’obsession sécuritaire, l’exclusion des «seniors», l’arrogance mêlée d’obséquiosité des petits chefs, la brutalité policière, la bureaucratie kafkaïenne, etc. tout ce qu’on pourrait résumer par le terme de déshumanisation.
Chacun des trois protagonistes va peu à peu reconquérir son humanité à la faveur de la recherche de l’enfant perdu, que sa mère biologique va sauver en l’arrachant aux écrans informatiques…
Derrière cette histoire pointe une critique de la masculinité hégémonique, celle de la course au pouvoir, à l’efficacité technologique, où la réussite est synonyme d’écrasement des autres (et de l’humain en soi). C’est l’héroïne qui, dans sa quête d’une maternité confisquée, va sauver tous ces hommes aveuglés symboliquement ou réellement par les écrans qui leur cachent la réalité.
Les rondeurs et le sourire bienveillant de Virginie Efira expriment, encore mieux que le corps et le visage anguleux de Sandrine Kiberlain (qui était l’héroïne de 9 mois ferme), cette aspiration à plus d’humanité…
Comme dans Thelma et Louise, on ne peut échapper à ce monde totalement déshumanisé que par la mort librement consentie, et ensemble… On sort du film avec un sentiment mêlé de tristesse et de jubilation, comme s’ils avaient gagné!