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Réalisatrices à l’honneur

Réalisatrices à l’honneur
L’Enfant d’en haut (2012) de la Suissesse Ursula Meier. VEGA FILM
Les écrans au prisme du genre

Un défi aussi difficile que nécessaire, auquel s’est soumise Véronique Le Bris dans son livre 100 grands films de réalisatrices.1>Véronique Le Bris, 100 grands films de réalisatrices, Arte éditions-Gründ, 2021 Rendre visibles et mettre en valeur par leur nombre et leur diversité les films réalisés par des femmes depuis les débuts du cinéma est une gageure assurément. Pour au moins deux raisons opposées: l’historiographie, la critique et les médias continuent à entretenir l’invisibilité des films de femmes, dans la bonne conscience d’une cinéphilie dominante formatée par et pour les hommes; mais limiter à 100 le nombre de «grands» films de femmes apparaît injuste et arbitraire dès lors qu’on commence à explorer la question. Et en lisant l’ouvrage, aussi honnête que bien documenté, de Véronique Le Bris, je me disais souvent: «C’est dommage qu’une telle ou une telle ne soit pas mentionnée…» Il faut donc remercier l’autrice d’avoir relevé courageusement ce défi impossible!

Dans un souci clairement didactique, un des critères qui ont présidé à sa sélection est la disponibilité des films sur un support accessible au grand public. Elle a ensuite cherché à «recouvrir toutes les périodes du cinéma et dans le plus de pays possibles», avec un «focus plus important sur la France» qu’elle justifie par le nombre exceptionnel de réalisatrices dans l’Hexagone. Sa sélection cherche enfin à montrer «la plus grande variété possible de styles, de genres cinématographiques, de sujets, de contributions formelles au cinéma». La présentation sur deux pages de chaque film, classé chronologiquement, synthétise des informations tant sur le parcours de sa réalisatrice (le livre en sélectionne 99, et seule Alice Guy a droit à deux films, renvoyant aux deux carrières, française et américaine, de cette absolue pionnière) que sur le film lui-même, son sujet, sa production et sa réception. Une filmographie sélective en marge du texte complète la présentation. Véronique Le Bris propose en fin de volume une bibliographie générale et par réalisatrice, qu’on aurait souhaitée un peu plus étoffée.

Sur les 99 réalisatrices sélectionnées, 39 sont françaises, ce qui peut paraître un peu abusif, sauf si l’on tient compte que l’ouvrage est avant tout destiné au public français. Malgré tout, la diversité des pays dont ces réalisatrices proviennent est remarquable: j’en ai compté 33 – la Suisse y figure à travers le film d’Ursula Meier, L’Enfant d’en haut (2012). On pourrait sûrement faire mieux si on se donnait comme objectif d’identifier tous les pays dans lesquels des réalisatrices ont pu émerger, malgré tous les obstacles qu’on imagine… mais c’est une autre histoire!

Un des mérites de ce petit ouvrage très maniable et bien illustré, c’est de nous donner envie d’aller plus loin dans la découverte des femmes réalisatrices. Parmi les films qu’on (re)découvre grâce à ce livre – sauf pour les initié·es –, il y a par exemple La Dérive de Paula Delsol (1964), la seule femme, à part Agnès Varda, à avoir émergé en même temps que la Nouvelle Vague, et dont la carrière a été cassée par une interdiction aux moins de 18 ans – ce qu’aucun film du même type émanant d’un réalisateur n’a eu à souffrir.

Véronique Le Bris nous permet aussi de (re)découvrir des réalisatrices méconnues comme les Espagnoles Isabel Coixet (The Secret Life of Words, 2005) et Iciar Bollain (Ne dis rien, 2003), ou les Britanniques Andrea Arnold (Fish Tank, 2009) et Lynne Ramsay (We Need to Talk about Kevin, 2011)… En revanche, on peut discuter la présence du film Mamma Mia! (Phyllida Lloyd, 2008), dont la réalisatrice ne semble pas avoir grand-chose à faire avec le cinéma. De même pour le film Woman (2020), principalement initié par le photographe Yann Arthus-Bertrand, et qui en porte la signature écrasante…

Enfin, on discutera quelquefois le choix du film sélectionné pour illustrer le travail de telle ou telle réalisatrice: par exemple, Les Sentiments (2003) de Noémie Lvovsky est à mon sens son film le plus discutable, qui raconte, en empathie avec Jean-Pierre Bacri, un homme d’âge mûr, sa rencontre «régénératrice» avec une très jeune femme, Isabelle Carré, pendant que Nathalie Baye, qui incarne son épouse au foyer, se noie dans l’alcool. Camille redouble (2011) est sans doute plus convaincant. De même La Bûche (1999) est moins intéressant que Décalage horaire (2002) ou Fauteuils d’orchestre (2006), pour illustrer le talent de Danielle Thomson. Mais on aura compris que ces critiques de détail visent davantage à montrer qu’on a lu attentivement l’ouvrage qu’à en remettre en cause la pertinence… On attend avec impatience la suite: 1000 films de réalisatrices depuis Alice Guy!

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Historienne du cinéma

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mercredi 27 novembre 2019

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