Covid-19: quand vacciner les enfants?
Est-ce le bon moment pour vacciner les enfants? C’est la question que l’on doit se poser à l’heure où de fortes pressions s’exercent pour vacciner au moins les plus de 12 ans dès cet été en Suisse, et que les Etats-Unis et le Canada ont déjà donné l’autorisation après un processus de validation accéléré.
Il y a donc un «emballement vaccinal», lié pour une grande part aux résultats épidémiologiques peu contestables de la protection que donne le vaccin: malgré le fait que le virus circule encore clairement (on détecte toujours, officiellement, entre 1000 et 1500 cas positifs au Covid-19 par jour en Suisse, un chiffre certainement sous-évalué), la pression sur le système hospitalier est nettement moindre. Actuellement, l’objectif premier de la vaccination semble donc atteint, qui avait justifié – à juste titre – le processus de validation accéléré. C’est un vrai succès collectif où les restrictions sociales ont, bien sûr, aussi joué un rôle décisif.
Cela dit, même en Suisse, et en Europe en général, si les personnes de plus de 50 ans sont relativement bien vaccinées, il y a encore beaucoup d’adultes plus jeunes qui n’ont pas encore pu – ou voulu – recevoir la première dose vaccinale, alors que, heureusement, les preuves scientifiques de la bonne tolérance des vaccins et de leur efficacité s’accumulent, avec des études «en live» sur des millions de patients adultes. On commence aussi à entrevoir – ce qui était l’hypothèse scientifique espérée – que la protection, si efficace à court terme, semble bonne déjà à moyen terme. Même si se pose la question de la nécessité de faire des rappels dont la périodicité n’est évidemment pas encore déterminable par manque de recul. Sera-ce comme la grippe – alors il faudra continuer à protéger les personnes à risque chaque année, ou peut-être tous les deux ans? Ou la rougeole – auquel cas une protection de toute la population est réalisable avec seulement deux doses par personne au total?
C’est dire qu’aujourd’hui on est encore loin de pouvoir penser à l’éradication du SARS-CoV-2, sachant combien cela est difficile, surtout si le virus est ubiquitaire et a réussi à faire une pandémie aussi violente que celle que l’on vit. Faut-il rappeler que l’on n’a toujours pas réussi à en finir avec la rougeole, alors que c’est un virus stable – sans mutation – dont le réservoir n’est que l’humain, et contre lequel existe un vaccin efficace connu depuis des décennies?
Comme le rappelait la professeure Claire-Anne Siegrist en février 2021, «il est impératif de discuter de l’éthique concernant la vaccination des enfants contre le Covid-19. L’incidence et la morbidité du Covid-19 étant très faibles chez les enfants, la vaccination ne serait pas entreprise pour leur propre protection, mais principalement pour celle des personnes âgées ou à haut risque de leur entourage.» Et peut-être pour diminuer le risque d’apparition d’un nouveau variant, pourrais-je rajouter.
Mais il est important de rappeler que l’enfant n’est pas un adulte en miniature. Il semblerait donc sage d’attendre d’avoir la certitude du comment, à quelle dose et à quelle périodicité on devrait appliquer ce vaccin, avant de commencer à l’administrer à cette tranche de population. D’autant que, de toute évidence avec les variants prédominants actuels, le virus circule aussi chez les moins de 12 ans, âge pour lequel les autorisations ne sont pas attendues avant 2022. Je doute par ailleurs que l’on pourra répondre à toutes ces questions avant une ou deux années.
Et ce sera difficile de convaincre la majorité des parents avant cela. Peut-être devrons-nous inscrire cette vaccination dans un schéma de vaccination complémentaire, et non dans celui de base, pour ne pas mettre en péril la protection contre des maladies potentiellement graves pour le petit enfant comme la coqueluche, la rougeole et j’en passe.
Je comprends l’impatience de la population à «en finir une fois pour toutes» avec ce virus afin de pouvoir reprendre la «vie normale d’avant»1>On n’entend plus tellement la volonté du changement nécessaire que la pandémie a pourtant révélé… Les votations du 13 juin seront un baromètre intéressant: n’oubliez donc pas d’aller voter! et la vaccination entreprise suscite peut-être un espoir démesuré.
J’en viens à partager l’avis du directeur général de l’OMS qui récemment déclarait: «Je comprends pourquoi certains pays veulent vacciner leurs enfants et leurs adolescents, mais je vous demande de penser à y renoncer et de donner plutôt les vaccins à Covax», le système international mis en place pour garantir un accès équitable aux vaccins. En Afrique, à ce jour à peine 1% de la population adulte a eu accès à un vaccin. C’est peut-être là que les nouveaux variants ont le plus de risque d’apparaître!
Question difficile, comme on voit. Il serait essentiel que la Société suisse de pédiatrie donne son aval, le cas échéant.
Notes
Bernard Borel est pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.